En 2010, le magazine américain Time classait Han Han parmi les cent personnalités les plus influentes du monde, devant Barack Obama soi-même ! Quant au plus célèbre des artistes dissidents chinois, Ai Wei Wei, lui-même star internationale et blogueur impénitent, il dit de lui : "Il sera le fossoyeur des écrivains de la vieille génération." Pendant ce temps-là, le garçon, né à Shanghai en 1982 et qui a obtenu son premier succès auprès de ses jeunes compatriotes dès son premier roman, Les trois portes (Lattès, 2004), alors qu'il avait à peine 17 ans et venait d'abandonner ses études, continue de déployer une activité frénétique.
Outre son blog, très bien écrit - ce dont il se montre particulièrement fier -, très littéraire et très fréquenté (400 millions de visites en cinq ans !), il continue d'écrire et de publier ses propres livres, dirige deux revues littéraires financées sur ses fonds personnels, joue les comédiens, notamment pour des publicités, et mène aussi un brillant parcours de coureur automobile. Sans le vouloir, semble-t-il, puisqu'il déclare : "Je suis un simple lettré, pas un intellectuel public", ni un "leader d'opinion", ni un "rebelle", Han Han incarne cette Chine nouvelle, affamée d'ouverture, de modernité, de toutes les libertés, à la fois profondément chinoise et assez occidentalisée. Et en tout cas décomplexée par rapport à l'un des dogmes de base du communisme et de son avatar maoïste : l'argent. Il est vrai que M. Deng est passé par là avec son "Enrichissez-vous", et que la nomenklatura du PCC lui a bien obéi, dont les enfants, les "petits princes rouges", roulent aujourd'hui à poil en Ferrari !
Han Han, lui, n'est pas de ceux-là, mais il avoue quand même gagner 2,3 millions de yens par an, soit entre 200 000 et 300 000 euros. Tout en précisant que, s'il jouait à fond le jeu du bizness, il pourrait palper cent fois plus. Pas question. Il préfère son indépendance, et préserver sa position somme toute plutôt confortable : sa formidable célébrité nationale le protège des foudres officielles : juste quelques tracasseries sporadiques, contrairement à Ai Wei Wei, persécuté parce que plus connu en Occident que dans son propre pays.
Alors, sans prétendre "changer les choses", Han Han joue le rôle de l'empêcheur de penser en rond. Ses cibles privilégiées sont les médias officiels, dont CCTV, la télé d'Etat, ou encore cette belle unanimité de façade que la Chine affiche en toute occasion. Han Han, par exemple, est l'un des rares à s'être élevé contre les JO de Pékin, et à dire leur fait à ses compatriotes, qu'il appelle méchamment des "shitoyens". Il écrit encore, par exemple : "Quant à berner et à utiliser les masses, il n'y a aucun pays qui puisse rivaliser avec le nôtre".
Tout son art est là, et aussi son arme principale : l'ironie, les allusions et références à des réalités précises dont la portée échappe parfois au lecteur occidental, mais que nous devinons. Han Han ne pose pas au rebelle, on l'a vu. Saluons simplement son courage, sa liberté et sa personnalité d'exception, qui nous donnent très envie de le rencontrer. Pour l'instant, il n'est pas prévu qu'il vienne en France, trop accaparé sans doute par ses courses de bolides.