On appelait cela un rhéteur. Un personnage qui parlait de tout et de rien, surtout de tout, avec un sens aiguisé du dialogue. Ajoutons-y, en ce qui le concerne, un maniement subtil de l’ironie et de la dérision et l’on aura un portrait assez juste de Lucien de Samosate qui écrivit, médita et brocarda au IIe siècle après J.-C.
Ce Syrien de naissance fut l’un des plus brillants exemples du rayonnement de l’hellénisme. En réaction au monde romain dans lequel il vivait et qu’il jugeait vulgaire, il portait au pinacle la culture grecque. Cette attitude ne l’empêchait pas de tourner en ridicule des philosophes comme Socrate en faisant l’éloge du mensonge et des pique-assiettes, ou de se moquer des amateurs de livres qui n’en connaissent que les titres. Bref, il se méfie des voies prétendues royales de la sagesse qui assurent conduire au bonheur.
Cet homme du "rire sérieux", ce satiriste maîtrise l’art du sophiste en dénonçant les impostures et les superstitions. Moraliste sévère qui se défie de la morale, il est surtout connu pour ses Histoires vraies, c’est-à-dire des histoires qui ne le sont pas et où l’on rencontre des chimères, des cavaliers-vautours, des bombardiers-d’ail ou des femmes-vignes. Ce qu’il ne connaît pas, Lucien l’invente. "N’ayant jamais eu d’aventure digne d’intérêt, je me suis rabattu sur le mensonge." Evidemment, sa façon de mentir est plus honnête que celle d’Homère, son maître en fariboles… Mais comme il n’est pas à un paradoxe près, il expliquera que la seule règle pour l’écriture de l’histoire reste la recherche de la vérité, même s’il se préoccupe plus du "comment le dire ?" que du "que s’est-il vraiment passé ?"
Pour cette édition des Œuvres complètes la traduction d’Emile Chambry, datant des années 1930, a été révisée et modernisée par Emeline Marquis et Alain Billault. Un index permet de circuler facilement dans ce vaste corpus constitué de petits traités sur la vie quotidienne où il est question aussi bien de la danse que du deuil, ou de savoir s’il vaut mieux aimer les femmes ou les garçons. Chacun piquera donc avec délice chez ce précurseur de Rabelais, Cyrano de Bergerac, Swift et Voltaire, car Lucien n’aime rien tant que casser le réel pour le faire voler en éclats. De grands éclats de rire. L. L.