"Son Zidane s’éclipse. Zidane s’éclipse, soi-même s’ensevelit et délace souliers. Son Zizou va quitter les belles pelouses, les gazons de Castille arrosés d’aube au soir par les petits immigrés. Zizou va ôter le pied du tapis brodé du Real brumisé motte à motte par les intérimaires d’Esclavonie et des anciens califats."
C’est un prince, une idole païenne, un enfant des cités devenu, par la grâce de son pied droit, grand d’Espagne. Ses quartiers de noblesse se sont les cités de Marseille. Il n’en finit jamais de tirer sa révérence, héros de la mémoire collective d’un peuple qui a pu, à travers lui, se croire réconcilié.
A Zinedine Zidane, styliste qui s’ignore, il faut en littérature des hérauts à la mesure de ses pleins et de ses déliés. Ce fut (avec un succès mitigé) Jean-Philippe Toussaint et sa Mélancolie de Zidane (Minuit, 2006). Ce sera désormais Philippe Bordas, et son Chant furieux, premier roman impétueux, ambitieux, où la réinvention de la langue est un préalable à celle du réel. Ce serait l’histoire d’un photographe (Philippe Bordas est photographe, un des grands de ce temps), Mémos, chargé de suivre l’idole chauve trois mois durant, afin de lui consacrer un livre. Sur le chemin de la vérité de Zidane avec qui s’établissent des liens qui sont, d’abord, ceux d’une origine sociale commune, Mémos croisera la langue, le grand style français, et ce sera sa plus belle conquête.
Avec Forcenés (Fayard, 2008), Philippe Bordas avait écrit le grand livre des rapports incestueux entre le cyclisme et la littérature. Si l’on retrouve ici son lyrisme noir, le projet, romanesque, est de nature toute différente. Il s’agit moins d’un requiem que d’une symphonie, à la fois déconstruite, moderne et, finalement, singulièrement classique, pour les dieux et pour les hommes, lorsqu’ils font l’ange et la bête. Plongez-vous dans ce fleuve, laissez-vous porter par ces rapides.
Olivier Mony