L'émission 60 minutes consacrée, le 17 avril sur CBS, à Greg Mortenson, a fait l'effet d'une bombe dans l'édition américaine en révélant les impostures dont cet alpiniste se serait rendu coupable.
Calibrée façon Hollywood, son histoire était peut-être trop belle. En 1996, l'alpiniste en détresse, enlevé par un groupe de taliban, est secouru par des habitants d'un village pakistanais situé au pied du deuxième plus haut sommet du monde, le K2, auxquels il promet de revenir un jour pour bâtir une école. Cet épisode l'amène à créer une organisation humanitaire, le Central Asia Institute (CAI), dont la vocation est d'assurer l'accès à l'enseignement des enfants, et plus spécifiquement des jeunes filles, dans les contrées les plus reculées d'Afghanistan et du Pakistan.
Très vite les généreux donateurs, parmi lesquels l'auteur d'Into The Wild Jon Krakauer qui s'est désormais retourné contre lui, se bousculent pour soutenir la cause du montagnard devenu philantrope. Celui-ci affirme avoir contribué à l'édification de 171 écoles en 15 ans, permettant la scolarisation de 60 000 filles, grâce aux dizaines de millions de dollars recueillis.
De ces évènements, Greg Mortenson a tiré un livre, Trois Tasses de thé, présenté comme un document, et publié chez Viking Press qui appartient au groupe Penguin, l'un des principaux au monde. Il s'est écoulé à quatre millions d'exemplaires et est resté trois ans sur la liste des best-sellers du New York Times.
Mortenson n'aurait jamais été victime d'un enlèvement
C'était avant d'être la cible d'accusations potentiellement dévastatrices. Ce qu'ont découvert les journalistes de CBS dépasse en effet l'entendement : la plupart des écoles prétendument achevées par CAI auraient ainsi été construites par d'autres ONG ou n'existeraient tout simplement pas. Plus d'un million et demi de dollars aurait également été détourné afin d'assurer la promotion de ses livres, notamment en utilisant des jets privés. Et cerise sur le gateau, Mortenson n'aurait jamais été victime d'un enlèvement !
Jusqu'à présent personne n'avait remis en doute la véracité de ses différents recits à tel point que son oeuvre fait partie des ouvrages que les membres des forces spéciales américaines déployées sur le théâtre afghan doivent lire pour se familiariser avec les situations qu'ils risquent d'y rencontrer. Il a même été proposé pour le prix Nobel de la paix par plusieurs sénateurs américains ces deux dernières années tandis que le Pakistan lui a décerné la plus haute distinction civile du pays. Face à la controverse naissante, Viking a annoncé qu'il allait examiner avec le principal intéressé la validité de ses dires.?
Des conséquences qui pourraient être importantes pour l'éditeur
S'il s'avère que Mortenson a menti, les conséquences pourraient être importantes, tant pour l'auteur que pour son éditeur. Car son cas dépasse de loin les polémiques d'ordinaire attachées au genre de l'autofiction. Il n'est d'ailleurs pas sans évoquer l'affaire James Frey, accusé pareillement en 2006 d'avoir grossièrement éxagéré certains faits ou d'avoir tout simplement menti pour son livre Mille morceaux. Penguin, déjà éclaboussé à l'époque à travers sa filiale Riverhead, avait été contraint de rembourser un bon nombre d'acheteurs lésés.
En février 2008, c'est Berkley Books, autre filiale de Penguin, qui avait dû annuler en catastrophe la publication des mémoires d'Herman Rosenblat après avoir découvert que toute la trame avait été inventée. Ce rescapé de la Shoah, alors adolescent, prétendait avoir survécu grâce aux pommes que lui lançait une petite fille, sa future femme, par dessus les barbelés du camp de concentration où il était prisonnier.
En France, c'est Glénat qui édite Greg Mortenson. Trois Tasses de thé s'est vendu à 23 000 exemplaires dans son édition originale depuis la fin 2009. Il est également disponible chez Points. “Le livre bénéficie d'un bouche à oreille constant et continue de faire du réassort”, explique Isabelle Fortis, la directrice générale des éditions Glénat. Sa suite Sur ces pierres, tu bâtiras des écoles... a connu un succès moindre (7 000 exemplaires vendus). “Depuis la parution de Trois tasses de thé en France en 2009, nous n'avions entendu aucune critique ni suspicion à propos de l'aventure de Mortenson”, assure l'éditrice.