Il pleut. Ils sont deux. Chacun dans sa chambre, l'un et l'autre absorbés par leurs activités, leur imaginaire. On n'ira pas au restaurant. On déjeunera à l'appartement. Le père préparera une purée maison pour le fils qui lui rend visite le deuxième mercredi du mois. Dans Conversations silencieuses, Olivier Schefer se remémore le côté de son père. Dans le livre précédent, Une tache d'encre (Arléa, « La rencontre », 2017), c'était la mère dont il triait les effets après son décès. A l'écrivain et philosophe, spécialiste d'esthétique, il fallait faire sans doute deux livres puisque les parents étaient séparés.

CesConversations silencieusessont ourdies de fils muets qui, depuis l'enfance, relient la sensibilité d'antan aux intérêts d'aujourd'hui : l'art, la littérature, tout ce qui a trait à la beauté. Chez son père, ni bandes dessinées ni télévision. Le narrateur se souvient en revanche des livres d'art paternels, la collection « Tout l'Œuvre peint » de Piero della Francesca, Titien, Delacroix, Picasso...qui l'inviteront à emprunter cette voie de la quête des sensations, si fugaces soient-elles, du beau. Le professeur d'esthétique entremêle aux souvenirs des anecdotes plus érudites : son père mange du raisin, et c'est à Zeuxis qu'il pense. Le peintre grec sut si bien rendre les fruits de la vigne que des oiseaux vinrent picorer son dessin. Ces pages sont une réflexion sur la beauté fragile sur quoi se porte l'ombre de la perte. Elles sont surtout un bel éloge de ce lien entre père et fils si particulier, pudique, voire mutique : « Il y a autant de façons de se taire que de manières de parler. Plus tard je compris que l'amitié est la véritable mesure du silence. [...] Elle apparaît lorsqu'on peut se taire à deux et laisser s'installer un silence complet, fruit de la relation amicale, dont il a la saveur même, la tessiture, le grain particulier, le poids léger. »