De la contrainte poétique à la contrainte numérique: c'est ce qu'ont expérimenté quatre étudiants de la licence professionnelle «intégrateur et gestionnaire de flux numériques» de l'Ecole Estienne, qui ont imaginé un livre numérique à partir du long poème en alexandrins de Jacques Roubaud, Ode à la ligne 29 des autobus parisiens, publié en novembre 2012 par Attila.
Ce poème qui comporte neuf niveaux de lecture matérialisés par des couleurs différentes et des décrochages, avait déjà donné lieu à une collaboration entre la maison d'édition, le poète oulipien et les élèves de la section typographie de l'Ecole Estienne, qui avaient conçu la maquette intérieure du livre et six couvertures (voir LH 927 du 26.10.2012, p.22-23, «En ligne avec Roubaud»).
Dans le cadre de leur projet d'étude, Floriane Laguette, Jérémie Lucien, Alexis Kiredjian et Tom Morgado, étudiants en flux numériques, se sont donc joyeusement emparés de l'oeuvre de Roubaud. Ils ont présenté leur travail réalisé en format epub 3 le 19 juin à l'Ecole Estienne. «Nous avons créé nos contraintes, ont-ils exposé. Nous nous sommes nommés les "ounupiens", pour "ouvroir du numérique potentiel".»
La lecture ne peut donc se faire que de haut en bas, et jamais de gauche à droite, ce qui fait que leur livre numérique ne se feuillette pas mais se déroule. Ils ont imaginé plusieurs modes de lecture: intégrale, en suivant la ligne de bus; digressive, en choisissant un, deux, trois... niveaux de digressions; et aléatoire, un mode qui propose un seul niveau de lecture, différent à chaque fois.
Ils ont tenu à respecter le travail typographique et à conserver l'esprit de l'oeuvre de Roubaud. Par exemple, «le lecteur ne peut pas augmenter ou réduire le corps, car on veut garder le décalage des digressions et ne pas couper les alexandrins», exposent-ils.
Les étudiants ont aussi intégré et mis en valeur les prolongements auxquels a donné lieu cette Ode à la ligne 29 des autobus parisiens: création radiophonique sur France Culture, série photographique de Jean-Luc Bertini, composition électro-acoustique de Gilles Silvilotto, lectures...
Frédéric Martin, éditeur d'Attila, les a aiguillés dans leur travail. «Ils ont montré à quel point la technique était subordonnée à une intelligence du projet. La version numérique est un projet différent, dans le respect d'une oeuvre: ils ont réfléchi en éditeurs», estime-t-il. Il envisage de publier le livre numérique, qui sera le premier de la maison, à l'automne prochain ou en 2014.
L'objectif des projets en licence professionnelle était d'explorer toutes les possibilités offertes par le format epub 3, pour créer des livres numériques qui ne soient pas de simples versions homothétiques des ouvrages papier.
Deux autres groupes de quatre élèves ont aussi présenté leurs projets le 19 juin. Les uns ont réalisé une version numérique de De coloribus d'Antonio Telesio, un lexique des couleurs datant de 1549 et édité par l'Ecole Estienne en 2010. Ils ont fait apparaître toute la richesse de l'oeuvre, en ménageant des passages du texte français au texte latin, en proposant une lecture linéaire ou thématique, un prolongement moderne avec des images de design, d'architecture, de mode, d'art contemporain... Les autres ont conçu un guide pratique et interactif des plantes grimpantes, imaginé cette fois non pas à partir d'un ouvrage papier existant, mais à partir d'une base images et textes de Mauryflor, filiale de l'imprimeur Maury.