Lectures d'été

Lectures d'été : une saison de best-sellers

La librairie L'infinie comédie à Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine) après le déconfinement. - Photo Olivier Dion

Lectures d'été : une saison de best-sellers

A l'approche d'un été qui ne ressemblera à aucun autre, les éditeurs ont resserré leurs programmes autour des plus gros enjeux commerciaux. Quelques titres en écho à la période troublée s'ajoutent aux traditionnelles fresques romanesques et polars addictifs. _ par Marine Durand

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Créé le 22.05.2020 à 02h03

Nous avons entendu les demandes des libraires, nous allons éviter l'encombrement. » Rangés comme un seul homme derrière cette affirmation de Catherine Lauprêtre, secrétaire générale de Gallmeister, les éditeurs de littérature ont remanié leurs programmes de mai et juin dans une dynamique commune : restreindre le nombre de nouveautés au maximum, mais ramener le public en magasin grâce à des valeurs sûres, qui continueront de s'écouler en juillet et août. Alors que les « livres d'été » fleurissent habituellement sur les tables entre mi-mars et début juin pour être dévorés sur les plages, la crise sanitaire a gelé tout un pan de la production. Il a fallu arbitrer, rattraper, décaler, bref « tout remanier », affirme Sabrina Arab. La directrice éditoriale d'HarperCollins France a « reconstruit le mois de juin en privilégiant les titres déjà présentés aux commerciaux, et ceux qui s'adaptaient le mieux à la période » comme 12 bis, avenue du Maréchal Joffre, d'Anne de Kinkelin, « une lecture positive sur une jeune fille qui part à la recherche des gens habitant à la même adresse qu'elle ».

Sabrina Arab, HarperCollins- Photo OLIVIER DION

Agenda bouleversé

« A la réouverture, il n'y aura de place que pour des titres très forts », estime Danaé Tourrand, responsable éditoriale de Charleston. La maison dégaine le 6e tome de la saga Les sept sœurs, de Lucinda Riley (La sœur du soleil), le 10 juin, et retravaille « comme une nouveauté » La femme au manteau violet, de Clarisse Sabard, paru juste avant le confinement. Exceptionnellement, les nouveautés de la maison s'étalent jusqu'à mi-juillet, une façon de « décaler le temps de la découverte » en espérant que Le bon côté de la vie, de Deb-bie Macomber (15 juillet), rencontre son public.

Véronique Cardi- Photo OLIVIER DION

Chez JC Lattès, le régime est drastique : le nombre de parutions prévues entre mars et juillet a été réduit de 75 %. Mais toute l'équipe poussera les 10 titres qui paraissent à partir du 10 juin, -notamment le premier roman de la chanteuse Olivia Ruiz, La commode aux tiroirs de couleurs, « de ces livres capables de déclencher l'achat chez des lecteurs occasionnels grâce à la notoriété de l'autrice », se félicite la P-DG de la maison, Véronique Cardi. Rivages a fait « simple et efficace », témoigne son responsable commercial, Baptiste Renault : seuls restent au calendrier estival « les titres qui peuvent susciter l'envie sans encombrer une table inutilement », tels que la nouveauté annuelle de James Lee Burke, New Iberia Blues, en synergie avec la nouveauté poche de l'Américain.

Jean-Marie Aubert, Massena- Photo OLIVIER DION

D'ailleurs le format poche (voir aussi p. 26), roi de l'été avec son petit prix, sa taille -facile à glisser dans la valise et ses opérations « 3 pour 2 » n'échappe pas à cette -stratégie : - 35 % de nouveautés chez Folio, qui se concentre sur ses titres les plus porteurs comme Arcadie, d'Emmanuelle Bayamack-Tan, ou Deux sœurs, de David Foenkinos ; 50% de titres en moins sur la période mars-juillet chez J'ai lu, qui tente de « maintenir l'équilibre » entre les coups de cœur (Brexit Romance, de Clémentine Beauvais, Amours solitaires, de Morgane Ortin) et les locomotives, de Bruno Combes à George R. R. Martin.

Des poids lourds en rangs serrés

Les nouveautés de romanciers populaires habitués des offices du printemps, comme Agnès Martin-Lugand, ont été décalées. Nos résiliences, initialement attendu le 26 mars, est l'un des premiers blockbusters qui vient donner de l'air au secteur, le 20 mai, en même temps que Quelqu'un de bien, de Françoise Bourdin (Belfond), qui se déroule en plein cœur du Lubéron, ou que le thriller de Bernard Minier, La Vallée, chez XO, une nouvelle enquête du commandant Servaz. Les nouveautés en poche des trois auteurs seront au rendez-vous, toujours le 20 mai, chez Pocket.

Encore plus concentrés que d'ordinaire, les titres à haut tirage donnent à la production de printemps des allures de troisième rentrée littéraire, « et le niveau de précommandes sur ces livres a explosé », remarque Stéphanie Laurent, directrice du livre de Fnac-Darty. Mais le poids lourd qui fait frémir, de l'hypermarché à la librairie indépendante, c'est L'énigme de la chambre 622, de Joël Dicker, prévu le 25 mars avant d'être rattrapé « in extremis » par De Fallois, et qui inondera les enseignes le 27 mai, fort de son tirage de 450 000 exemplaires.

Guillaume Musso, le romancier le plus vendu en France l'an dernier, n'est pas en reste. La vie est un roman, dont 400 000 exemplaires ont été imprimés par Calmann-Lévy, sera disponible le 26 mai. « On a besoin de ces sucres rapides », se félicite Jean-Marie Aubert, cogérant de la libraire Massena, à Nice. Albin Michel n'a volontairement pas prévu d'office en mai « pour laisser les libraires se déconfiner tranquillement », indique le directeur marketing, Mickaël Palvin. Il ne retient pas ses « locomotives » bien longtemps, puisque Alexandre Jardin, avec Française, ou Jean-Christophe Grangé et Le jour des cendres, débarquent le 4 juin, en même temps que le dernier thriller de Franck Thilliez chez Fleuve Noir, Il était deux fois.

La vie mensongère des adultes, d'Elena Ferrante (Gallimard), fera lui aussi l'objet de toutes les attentions à partir du 9 juin, d'autant que Netflix a annoncé son adaptation en série. Comme pour clore ce mois de best-sellers à venir, Et que ne durent que les moments doux de Virginie Grimaldi, le plus gros enjeu de Fayard, fera la joie de ses nombreux fans à partir du 17 juin. La synergie poche/grand format jouant à fond dans la période, Le Livre de poche publie le même jour le précédent titre de l'auteure, Quand nos souvenirs viendront danser, et conserve à ses côtés « les titres à plus gros potentiel », La vraie vie d'Adeline Dieudonné, Les victorieuses de Laetitia Colombani, ou Même les méchants rêvent d'amour, d'Anne-Gaëlle Huon.

Des livres pour voyager

A quoi ressemblera « l'été coronavirus » ? Bien malin qui pourrait le prédire. Mais les Français devraient rester majoritairement dans l'Hexagone. Plusieurs éditeurs mettent l'accent sur les ouvrages favorisant l'évasion, depuis son jardin ou son salon. Les lecteurs partiront à vélo Sur la route du Danube (Emmanuel Ruben, Rivages), visiteront la Floride de Lauren Groff (Points), voyageront grâce à Vilnius, Paris, Londres, d'Andreï Kourkov, qui paraît dans la collection « Piccolo » de Liana Lévi, « un gros volume parfait pour l'été » note Elodie Pajot, du service commercial de la maison. Ils pourront aussi traverser l'Amérique des seventies avec Joanne, l'héroïne des Jours brûlants de Laurence Peyrin (Calmann-Lévy), ou se replonger dans l'incontournable Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell, dont Gallmeister propose une nouvelle traduction événement.

Si l'on ne peut pas avoir les vacances que l'on voudrait, autant vivre par procuration celles de personnages attachants. Chez Belfond, David Nicholls livre un Summer Melodie de circonstance, soit l'histoire d'un premier amour à l'été 1997. Les trois sœurs Carpentier passent la belle saison à La Garrigue, la maison familiale en Provence dans Frangines, d'Adèle Bréau (JC Lattès), et Inès Benaroya raconte l'été d'Ariane, son époux et ses enfants en Grèce, entre fantasmes et manipulations (Quadrille, Fayard).

Les deux mois de confinement dont nous sortons ont été propices à la réflexion, ou aux remises en question. Cette période singulière a aussi guidé les choix des éditeurs. L'Iconoclaste n'a conservé que deux ouvrages à paraître avant la rentrée : J'ai hâte d'être à demain, de Sandrine Sénès (voir p. 63) et Routiers, de Jean-Claude Raspiengeas, une enquête sur ces professionnels du transport très mobilisés pendant la crise. Pariant sur une évolution de nos modes de vie, Sabrina Arab publiera le 3 juin Tout le monde n'a pas le chance d'être vegan, de la journaliste Laurence Pieau, qui a lancé le site Alternative Vegan en octobre. Rivages, enfin, invite ses lecteurs à se recentrer sur leur épanouissement et programme dans sa « Petite bibliothèque » La médecine de l'âme, de Cicéron, et l'essai inédit La réalisation du soi, du premier maître spirituel de Gandhi, ?r?mad R?jacandra.

Libraire au temps du coronavirus

Les libraires, masqués mais regonflés par l'afflux de clients après le confinement, se préparent à un été hors normes, en mettant en avant quatre priorités.

A la librairie Les cahiers de Colette, à Paris.- Photo OLIVIER DION

Le festival du livre de Nice aurait dû, du 29 au 31 mai, lancer la saison estivale de la librairie Masséna. « C'est un événement important pour nous qui n'aura pas lieu », déplore le cogérant du magasin, Jean-Marie Aubert. Cultura a stoppé son programme de dédicaces « jusqu'à nouvel ordre », les espaces culturels Leclerc ne remettront pas en service leur bus itinérant de la tournée « La culture à ciel ouvert ». En cette mi-mai, le Livre de poche est l'un des rares acteurs du secteur à encore espérer lancer sur les routes son fameux Camion qui livre, « tout en s'informant en permanence de ce qui est autorisé », souligne Sylvie Navellou, la directrice marketing et communication. Comment continuer à vendre et à faire vivre le livre en cet été de distanciation physique ? Les stratégies de quelques intéressés.

1. Développer le click and collect

Par téléphone, via un portail collectif de librairies indépendantes ou sur le site marchand d'une GSS, le click and collect a séduit clients et professionnels pendant le confinement. Et ce mode de consommation a de beaux jours devant lui. « La plupart de nos magasins étaient fermés jusqu'au 11 mai, mais à la réouverture, les retraits de commandes ont été multipliés par 3 à Saint-Lazare. On remarque bien que les gens ne viennent plus flâner », indique Stéphanie Laurent, directrice du livre de la Fnac, qui s'attend néanmoins à une activité plus forte que d'habitude au cœur de l'été dans ses enseignes de centre-ville. 

2. S'affirmer sur les réseaux sociaux

Outre « un nombre de lectures considérables » qui lui ont permis de faire « le plein de coups de cœur », Marie Hirigoyen, fondatrice de la Librairie Hirigoyen à Bayonne, a posté beaucoup plus de contenus sur Facebook que d'ordinaire pendant le confinement. « Cela m'a amené beaucoup de nouveaux clients », s'enthousiasme la libraire, qui compte bien ne pas perdre ses bonnes habitudes. Défis en cascade chez les Nantais de Coiffard, lectures d'extraits sur les pages d'Ici Grands Boulevards (Paris 2e), les réseaux sociaux ont été le refuge de nombreux libraires pendant le confinement. « Nous avons été stupéfaits par le succès de nos live de chevets, des cartes blanches à des auteurs comme Bernard Werber ou Daniel Pennac qui cumulaient entre 100 000 et 450 000 vues par vidéos », remarque Eric Lafraise, directeur de la culture chez Cultura. Poursuivre le rendez-vous hebdomadaire apparaît comme une évidence, pour pallier l'annulation des dédicaces.

3. Réinventer les rencontres 

Et si toutes les dédicaces n'étaient pas totalement annulées ? Les éditions JC Lattès ont décidé de tenter la rencontre en tout petit comité pour la sortie de Saccharoses, le premier roman de Samir et deuxième titre du label La Grenade. Avec un roulement de cinq personnes en cinq personnes étalé sur plusieurs heures, l'éditeur espère réinventer notre manière de créer du collectif. C'est l'intimiste Librairie idéale, à Paris (7e), qui devrait accueillir l'expérience. Un modèle à suivre ?

4. S'adapter à son public

Puisqu'il y a de grandes chances qu'on ne puisse pas voyager à l'étranger, autant adapter ses espaces. Pascal Dulondel, de la librairie Cosmopolite à Angoulême, n'a pas perdu de temps : « Au rayon tourisme, nous avons enlevé les tables week-end en Europe ou dans une capitale au profit d'une table avec les guides sur la Charente, une autre sur la région Nouvelle Aquitaine, et une troisième dédiée à la France », décrit-il. A Nice, Jean-Marie Aubert parie sur une affluence plus française et moins américaine ou asiatique que d'ordinaire, mais attend de rencontrer sa clientèle estivale pour décider du maintien ou non de sa vitrine en langue anglaise.

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