Assortie d’une procédure accélérée engagée par le gouvernement, la proposition de loi sur le secret des affaires déposée par les députés de la majorité soulève dans la presse des inquiétudes que peuvent partager les éditeurs d’enquêtes impliquant des entreprises. Transposition d’une directive européenne approuvée en 2016, et destinée d’abord à protéger les données technologiques et commerciales confidentielles du vol par des concurrents, cette nouvelle réglementation pourrait être détournée de cet objectif pour restreindre la liberté d’informer dans le domaine économique, font valoir plusieurs sociétés de journalistes et des avocats.
Le texte prévoit pourtant que le secret des affaires ne peut être invoqué lorsque la divulgation d’une information "est intervenue pour exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse" (art. L.151-6 - I, 1°). "C’est parfaitement illusoire, et cette disposition n’enlève rien à l’ampleur des problèmes que soulève cette proposition de loi, estime Emmanuel Pierrat, avocat spécialiste du droit de l’édition et blogueur sur Livreshebdo.fr. La liberté d’expression et d’information est déjà garantie par la Constitution, il s’agit donc juste d’un effet d’affichage. Quant à la protection qui serait attachée à la presse, elle ne concerne pas l’édition, à laquelle les tribunaux refusent la protection du secret des sources."
Pour Christophe Bigot, avocat également spécialiste du droit des médias et de l’édition, le rappel du droit à la liberté d’expression et de communication, opposable au secret des affaires, offre bien une garantie suffisante à l’édition d’enquêtes économiques. "C’est extrêmement large, il n’y a pas de débat possible", affirme-t-il. Quant à la protection des sources, "les éditeurs et journalistes convoqués comme témoins répondront comme d’habitude aux juges qu’ils n’ont rien à déclarer", ajoute l’avocat. Une récente ordonnance de référé du TGI de Metz dans l’affaire LuxLeaks montre toutefois que cette protection est déjà fragile.
Pour préserver la liberté d’informer, les députés ont ajouté une disposition permettant de réprimer les procédures abusives, supprimée au Sénat qui a ajouté un volet pénal au texte d’origine, lequel ne prévoyait qu’une mise en œuvre devant la juridiction civile. Une commission mixte paritaire doit avant l’été rapprocher les deux versions, mais elle ne changera plus rien au fond, regrette Emmanuel Pierrat, qui se projette déjà dans d’éventuels recours devant la justice européenne.
Hervé Hugueny