Le lecteur ne saurait, à l'évidence, se fier au titre que Pierre Stasse a choisi pour son roman. Ici, la nuit, même thaïlandaise, est tout sauf pacifique. Elle est violente, à l'image d'un pays, victime, dans le Sud, du terrorisme des islamistes d'origine malaise, et en proie, partout, au trafic de drogue, à la corruption, au manque de libertés démocratiques. Là-bas, le moindre propos mettant en cause le roi Bhumibol est un crime de lèse-majesté, passible de prison, y compris pour un farang, un étranger.
Les camps de détention, Hadrien Verneuil, le narrateur, en fera brièvement l'expérience, mais pas pour motif politique : pour des raisons privées. Il a violemment agressé Jean-Pierre Malle, un médecin-psychanalyste français qui vit à Bangkok, et qui fut autrefois l'amant de sa soeur aînée, Cécile, retrouvée noyée dans un étang près de chez eux, non loin de Blois, il y a vingt ans. Hadrien, qui entretenait avec Cécile des liens très forts, plus que fraternels, semble-t-il, accuse Malle d'en être responsable. Celui-ci est par ailleurs un pervers sexuel et une canaille, lié aux politiciens et aux militaires véreux, comme le député Chalerm Boonsophone et son assistant Vicham, qui est aussi l'associé d'Hadrien dans leur entreprise de retouche photographique. Un business bien utile pour dissimuler des preuves compromettantes, et qui marche très fort.
Hadrien, venu en Thaïlande pour fuir le drame de sa jeunesse, va s'y retrouver plus que plongé : il rêve de vengeance, de se faire justice lui-même. Pour exorciser la violence qu'il porte en lui, il apprend la boxe thaïe, et combattra même une fois sur un vrai ring, contre un autre farang qu'il finira par mettre K-O. Mais le docteur Malle est un adversaire autrement coriace. Il a des appuis. Et puis son métier lui a enseigné l'art de retourner les situations, face à un sujet psychologiquement fragile. Il est vrai que sa version des faits diffère radicalement de celle d'Hadrien...
Pierre Stasse a habilement composé son livre : un démarrage lent (il faut attendre la page 100 pour que l'intrigue se noue), puis une accélération, avec des épisodes qui s'enchaînent ou s'entremêlent. Le tout sur fond de moiteurs tropicales, et de chaos : le pays est en proie à des inondations et à des crues meurtrières, sans compter les attentats. Mais à la fin vient une sorte d'apaisement. Hadrien, qui se voyait en "effaceur" de dette, a accompli sa catharsis. Il n'échappera jamais à son passé, mais peut-être pourra-t-il commencer à vivre.