Marianne , dans son dernier numéro, propose un dossier sur « Ces bides qui trahissent une vraie rupture ». Chiffres (en pagaille) à l’appui, ce dossier vient nous rappeler que l’année écoulée fut riche en échecs culturels en tous genres (cinéma, théâtre, édition, musique¼), d’autant plus cuisants qu’ils auront concerné des œuvres fortement médiatisées et promotionnées. Côté édition, on connaît déjà les lauréats, le BHL-Houellebecq et le Angot se disputant ex-aequo la première place du podium. Et de rappeler les à-valoir disproportionnés reçus par ces auteurs. Mais Marianne a cette phrase étonnante : « Le public ne comprendra jamais que les médias se déchaînent autour des résultats comptables d’un livre, ni cette indignation vengeresse ». Peut-être — dans l’hypothèse où l’on se contente de livrer crûment les chiffres. Car ces exemples auraient mérité une analyse fouillée dans la presse. Depuis l’éclatement de la crise financière, on a beaucoup parlé des « actifs toxiques » des banques, en matière de crédits immobiliers. L’édition aussi, a ses actifs toxiques. Quand un éditeur consent à un auteur un à-valoir sans commune mesure avec les ventes réelles de ses précédents ouvrages ; quand ce même éditeur, pour tenter de rentrer dans ses frais, mise toute la communication de sa rentrée littéraire sur cet auteur ; quand enfin le roman en question est nullisimme, outre que le déficit d’image, pour l’éditeur, est énorme, il a raté une belle mise en valeur de son travail éditorial d’ensemble, en misant tout sur un canard boiteux. La propagation de la crise à tous les secteurs de l’économie, y compris probablement le livre, aura raison, espère-t-on, de ces pratiques absurdes. *** Autre réflexion, que m’inspire la crise : que serait, aujourd’hui, la presse écrite, sans l’édition ? La question ne m’a jamais parue aussi évidente à poser que ces derniers jours. Reprenons Marianne : l’essentiel de sa couverture est consacré à Kouchner, ou plutôt aux révélations du livre de Pierre Péan sur le Ministre des (bonnes) affaires étrangères. Le Nouvel Obs , lui, a fait son miel des bonnes feuilles du livre surprise de Ségolène Royal (reprises dans l’ensemble de la presse, à coups de une ou deux pages à chaque fois). Dans le Point , c’est encore plus symptomatique. La couverture ? « Où sont les riches ? », inspirée du « livre événement » (sic), de Jacques Marseille, L’argent des Français (Perrin). 10 pages. En rubrique « Société », deux pages inspirées des Marches de la mort (Fayard) sur les déportés jetés sur les routes par les nazis en 1945. En rubrique « Idées », deux pages d’entretien avec l’auteure d’ Extension du domaine de la manipulation (Grasset) sur les rapports entreprise-salarié. En rubrique « Politique France », une page sur le livre de Roger Karoutchi (Denoël), où le ministre révèle son homosexualité ¼Bref, l’édition, cette semaine, a rempli une bonne partie du Point . Confrontée à la concurrence d’Internet, où le « journalisme participatif » fait rage, et où les sites leaders sur l’information ne sont pas toujours ceux qu’on croit (Orange et Yahoo !, par exemple, se sont taillés des parts de marché conséquente, devant le Monde , devant Libé , etc.), la presse écrite peut encore, pour se vendre, se prévaloir de ses bons vieux rapports avec le monde de l’édition, qui lui fournit à moindres frais les bonnes feuilles de livres qui feront l’événement. Oui : parce que l’édition sait encore payer des auteurs capables d’enquêter longtemps, ce que ne fait plus la presse (cf : le succès confirmé de « XXI »). Et l’édition a tout intérêt à continuer dans ce sens, plutôt que de brûler ses maigres capitaux dans des actifs toxiques (voir plus haut). *** PS qui n’a rien à voir : Dans Le Point , encore, très court, mais très excellent hommage de Christophe Ono-Dit-Biot à Marcel Schneider, ultime représentant d’un « monde d’hier, où la télévision n’avait pas encore remplacé le salon, et où l’art de la conversation était encore, comme le disait Chamfort, un art sans musée ».