"En cent ans de vie humaine, les caractères "Talent" et "Destin" prennent soin de se haïr..." Ainsi commence le grand classique vietnamien Kim Vân Kiêu, le chef-d'oeuvre de Nguyên Du >(1766-1820). Avertissement qui traduit l'adage populaire : "on ne peut pas tout avoir". Amour ou bonheur ? Cette opposition entre deux mouvements contraires - deux êtres qui s'aiment contre la volonté de l'ordre incarné par le père, le roi, l'Etat, l'Eglise... - est vieille comme la littérature. Roméo et Juliette ont existé bien avant Shakespeare et existeront toujours, tant qu'il y aura des lecteurs pour croire à l'amour. Hoài Huong Nguyên, née en 1976 en France, de parents vietnamiens (la précision n'est pas identitaire mais linguistique puisque l'auteure truffe son texte d'expressions vernaculaires) revisite le thème inoxydable des amours contrariées en le déployant dans le Viêt-Nam colonial, à la vieille de la bataille de Diên Biên Phu en 1954. Yann s'est engagé dans le conflit qui oppose la France et le Viêt-Minh, les forces anticoloniales dirigées par Hô Chi Minh. Blessé, on l'opère à l'hôpital Lanessan de Hanoi. A son chevet, infirmières et personnels soignants parmi lesquels Hoàng Mai ("Fleur jaune d'abricotier"), une externe du Couvent des Oiseaux, envoyée par les soeurs pour donner un coup de main à l'hôpital. Il ne l'avait pas remarquée au premier abord et elle ne lui aurait pas prêté attention s'il ne lui avait donné à lire un poème de Verlaine, L'heure exquise. Comme une invitation au rêve : "L'étang reflète,/ Profond miroir,/La silhouette/Du saule noir/Où le vent pleure..." C'est l'arroseur arrosé. Ces vers débouchent sur des échanges entre la jeune Vietnamienne et le jeune Breton. >Ces accidents qu'on nomme aussi destin scellent les vies, et voici que le soldat originaire de Belle-Ile s'enamoure de Mai, la fille du juge Lê. Le juge Lê, veuf devenu acariâtre avec les années, décide sur les conseils de sa concubine de marier Mai au riche marchand chinois Ushi Lei. Mai désobéit, elle est reniée. La guerre d'Indochine bat son plein. Avant de repartir sur le front à Diên Biên Phu, Yann s'unit à sa bien-aimée. Ce saule du poème était de mauvais augure. Chez cette jeune romancière, la mise en scène des images l'emporte sur l'intrigue, et l'on goûte à l'esthétique de chromos aux couleurs compassées.
Les amants du Tonkin
Un premier roman qui revisite le conte des amours contrariées sur fond de guerre d'Indochine.