Grandiose, le lancement d'Amazon France organisé en septembre 2000 à Paris, sur une dizaine de péniches amarrées au pied de la BNF, annonçait l'arrivée, sur le marché français, d'un opérateur disposant d'une exceptionnelle force de frappe. Et de fait, en débarquant avec un service logistique performant, un centre d'appel multilingue pour les clients désireux de suivre leurs commandes, une base de données étendue et un moteur de recherche efficace, le site a vite marqué sa différence par rapport aux autres intervenants (Fnac.com, Alapage, Bol aujourd'hui disparu...) et a été le premier contributeur au décollage du e-commerce en France. Mais comme l'explique Régis Pineau, directeur commercial de Dunod, "la grande force d'Amazon est d'avoir tout de suite compris l'enjeu que représente la disponibilité des ouvrages, ce qui l'a rapidement conduit à élargir ses stocks ». Résultat, en une décennie, le site est devenu incontournable dans la vente de livres. Bien que l'intéressé ne communique aucun chiffre, la plupart des estimations lui attribuent 60 % des ventes de livres réalisées sur Internet... soit 60 % d'un segment représentant aujourd'hui 10 % du marché du livre, contre preque zéro il y a dix ans. Sachant que dans le même temps le marché du livre est resté globalement stable, on comprend bien que ce qui a été gagné d'un côté a été perdu de l'autre. Toutefois, en France, où les ventes en ligne ont démarré plus lentement qu'ailleurs, la prise de conscience du phénomène n'a pas été immédiate. Comme l'explique Joël Faucilhon, fondateur de Lekti-ecriture.com, "c'est entre 2004 et 2005 que le déclic a eu lieu lorsque les éditeurs se sont aperçus de l'importance que prenaient dans leurs ventes le e-commerce et en particulier Amazon.fr ».
« ASPIRATEUR DE FONDS. »
Fort de sa position et désireux de la consolider, le site a franchi deux étapes importantes avec l'ouverture en 2003 d'un marketplace accueillant l'offre de libraires partenaires, puis le lancement en 2006 de son programme Avantage qui consiste pour les éditeurs et les diffuseurs à placer leurs ouvrages à faible rotation en dépôt-vente dans les stocks du site. Visant au départ les petites structures, ce programme en a depuis attiré de plus importantes. Et pour cause. Un ouvrage présenté comme immédiatement disponible afficherait des ventes supérieures en moyenne de 30 %. "Amazon est ainsi devenu un véritable aspirateur de fonds pour les éditeurs », estime Joël Faucilhon.
Mais surtout, en étant capable de proposer des délais de livraison compris entre 24 et 48 heures, Amazon.fr est venu concurrencer les libraires sur leur point fort. D'autant que le site n'a cessé d'enrichir ses services avec le programme Recherche au coeur, la livraison le soir pour les Parisiens... Par ailleurs, en offrant systématiquement les frais de port à partir du milieu des années 2000, il a fortement déstabilisé les rapports concurrentiels. "La gratuité du port a bouleversé le modèle économique du e-commerce, estime Renaud Vaillant, responsable marketing de Gibert Joseph. Les petites structures qui n'ont pas les moyens d'offrir ce coûteux service d'expédition se retrouvent encore plus marginalisées sur Internet. » Dès lors, estime Renaud Vaillant, "la clé de résistance pour les librairies repose de plus en plus sur le conseil, l'accueil et la pertinence de l'offre, quitte à ce que celle-ci se traduise par des partis pris forts ».
INTOLÉRABLE
Pour Matthieu de Montchalin, président du SLF et directeur de L'Armitière à Rouen, "la montée en puissance d'Amazon a surtout pointé certaines défaillances dans la chaîne du livre. Il est désormais intolérable pour les libraires de devoir attendre 4 à 6 jours avant de recevoir une commande. Les distributeurs doivent impérativement réduire leurs délais de traitement. En outre, il n'est pas normal que les éditeurs et les diffuseurs, dont certains acceptent les conditions commerciales hors norme d'Amazon, ne soutiennent pas mieux la présence d'ouvrages de fond en librairie ».