L'ADBGV a eu la bonne idée de confier la parole pour à plusieurs intervenants n'étant pas des professionnels des bibliothèques, renouvelant ainsi les points de vue.
Avec son brio habituel, le maire du Havre, Edouard Phlippe, engagé depuis plusieurs années dans une ambitieuse politique de lecture publique, a résumé son action en quelques formules choc. "Je ne fais pas une politique des bibliothèques mais une politique de la lecture dans toutes ses dimensions, dont la plus importante pour moi est le plaisir", a affirmé l'élu.
Dans cette ville marquée par les difficultés sociales, l'une des initiatives originales est de mettre les livres là où sont les habitants – gymnases, services administratifs –, au moyen de relais lecture, et pas seulement de faire venir les usagers là où sont les livres. Un service qui complète l'offre des bibliothèques mais ne s'y substitue pas. "Fermer des bibliothèques, ce n'est pas une bonne idée, a poursuivi Edouard Philippe. Mais il faut se poser la question de ce qu'elles doivent être aujourd'hui. Maintenir de tout petits équipements, cela n'a pas toujours un sens".
"J'ai sauvé Kafka"
Invité de la matinée, l'écrivain bosniaque Velibor Colic a déclaré son attachement aux bibliothèques, rappelant le drame de la destruction des collections de la Bibliothèque nationale à Sarajevo en 1992, mais plus encore son amour des livres. Il a suscité les rires dans l'assistance en expliquant qu'il empruntait régulièrement certains livres menacés de désherbage, parmi lesquels ceux de Kafka, à l'époque où il travaillait dans les bibliothèques municipales de Strasbourg. Sa vision d'une bibliothèque qui continuerait à laisser la plus belle place aux livres plutôt qu'aux supports numériques et audiovisuels n'a pas remporté l'unanimité mais a donné matière à réflexion. Il a appelé de ses voeux des établissements proposant des espaces de calme, propices à la lecture qui parfois, a-t-il rappelé, nécessite un effort. "Ma bibliothèque municipale est magnifique mais on dirait la Fnac. Il y a des DVD, des tablettes, des ordinateurs, des jeux vidéos.Quand je cherche un roman, j'ai du mal à le trouver", a déploré l'écrivain.
Saara Ihamäki, directrice adjointe de la Bibliothèque publique d'Helsinki a exposé le projet de la future bibliothèque centrale de la capitale finlandaise qui ouvrira en 2018, entièrement fondé dès le départ sur un travail en profondeur de co-construction avec les usagers, qui seront aussi activement impliqués dans son fonctionnement. Très innovante, la nouvelle structure aura toujours beaucoup de livres car c'est un souhait qu'ont fortement exprimé les habitants. Ils ont également demandé un lieu "à l'atmosphère paisible".
Sylvain Mariette, délégué fédéral auprès de la Fédération régionale des maisons de la jeunesse et de la culture Lorraine, a regretté le manque de collaboration entre les MJC et les bibliothèques, qui ont pourtant, a-t-il souligné, de nombreux points communs : "par nos activités, nous contribuons à l'épanouissement des usagers et à la cohésion sociale. Nous travaillons les uns comme les autres autour de la langue, nous plutôt par l'oralité, vous plutôt par l'écrit".
Bibliothèques de services
La réflexion menée à la Bibliothèque nationale de France (BNF), confrontée au cours des années passées à une baisse de la fréquentation et de l'utilisation de ses collections en libre accès sur le site François Mitterrand, offre une synthèse des évolutions à l'oeuvre valables pour toutes les bibliothèques. Bruno Racine, écrivain, président de cette institution de 2007 à 2016, a exposé les principales tendances : le passage d'une bibliothèque de collections à une bibliothèque de services, la flexibilité des espaces avec une place accrue laissée aux usages informels et aux lieux de convivialité, l'accroissement des fonctions de médiation, le rôle de la bibiothèque comme lieu de débat.
En conclusion de la journée, Juliette Lenoir, directrice des bibiothèques municipales de Nancy et présidente de l'ADBGV, a ouvert des pistes de réflexion supplémentaires, s'interrogeant notamment sur la pertinence de l'automatisation et des boîtes de retour de documents à l'heure où les prêts son en baisse, et sur l'intérêt de maintenir des expositions et des séances d'heure du conte, en une période de budgets contraints.
Rejoignant le constat fait par Bruno Racine, elle a souligné qu'à l'avenir, la mission principale des bibliothèques résiderait dans le conseil aux usagers et le signalement des ressources plutôt que dans l'offre de collections. "Le monde de l'information aura surtout besoin d'intelligence, de celle qu'on trouve dans le cerveau humain et non dans les machines, pour aider les utilisateurs à repérer et à sélectionner des contenus. C'est ce que savent très bien faire les bibliothécaires".