Chez Gallimard, où Sophie Chauveau, jusqu’ici auteure chez Folio, fait son entrée par la grande porte, la « Blanche », on y croit : jaquette en couleurs ambiance Germinal, affichettes idem en librairie, et, déjà, un retirage annoncé. Noces de charbon, saga familiale du XIXe siècle jusqu’en 1968, pourrait bien être l’un des succès de cette arrière-saison.

« Ce livre est un projet qui remonte aux années 80, explique la romancière. Un jour que je racontais mon amour pour le charbon à Laurence Cossé, elle m’a dit : "C’est un roman, écris-le!" Je l’ai écrit. Et le lui ai dédié. » Puisant dans sa propre histoire, apparemment compliquée, Sophie Chauveau raconte les destins croisés de deux familles du nord de la France, deux univers qui vont finir par se mêler. Il y a ceux qu’elle appelle « le côté Simenon » : les petites gens du Pas-de-Calais, les mineurs ; et ceux du « côté Proust » : les patrons, les bourgeois de la riche Picardie. «Je suis un pur produit de la lutte des classes !» s’amuse-t-elle. Même si le point de départ est authentique, si elle a mené sur le terrain, à Fontaine-au-Pire, à Flers-en-Escorbieu, dans le Douaisis, une enquête à la Zola, dans les villages, les mairies, les cimetières, durant plus d’un an, la romancière revendique sa part d’imagination. « Dans mon livre, un quart est réel, et trois quarts fiction.» Quant à son arrivée chez Gallimard, elle s’en réjouit, bien sûr, mais ça ne l’impressionne pas plus que ça, même si elle a « déjà dans la tête un méchant roman d’amour », qu’elle leur proposera « le moment venu ».

A 60 ans et près d’une vingtaine de titres éclectiques au compteur, Sophie Chauveau n’est pas inconnue des libraires. Ses biographies romancées de peintres florentins (Lippi, 2004, Botticelli, 2005, Vinci, 2007) se sont vendues à 25 000 exemplaires environ en première édition chez Télémaque, avant d’atteindre les 100 000 exemplaires chacune en Folio. Dans la même veine, elle a publié chez Télémaque un Diderot : le génie débraillé, en deux volumes (2009 et 2010), puis un « Folio/biographies » du même, lequel demeure son auteur de prédilection : «Diderot, c’est ma plus belle histoire d’amour. Lorsque j’étais au Conservatoire, je voulais jouer Le neveu de Rameau avec une fille ! » Et de s’indigner qu’en cette année de tricentenaire la France ne célèbre pas mieux « l’auteur le plus important des Lumières » qui, selon elle, mérite amplement sa panthéonisation : « Mais virtuelle. J’ai mené l’enquête, son tombeau est vide, son corps a disparu. Comme ceux de tous les grands hommes sur qui j’ai écrit. » Coïncidence ou pas, l’anecdote est révélatrice de sa méthode : Sophie Chauveau commence toujours par une enquête minutieuse, découvre parfois des « scoops ». Et en tire une biographie sérieuse. Ensuite, quand elle romance, elle « bouche les trous » : dans les cas de Lippi, Botticelli, ou même Léonard de Vinci, ce sont des gouffres.

 

« Ecolo de l’époque archaïque »

On l’aura compris, Sophie Chauveau est une femme de caractère, de convictions, un peu une « pétroleuse » : «J’ai toujours été militante, de gauche, féministe, écolo de l’époque archaïque. Et je le suis toujours, même si…» Reçue toute jeune au Conservatoire, « très douée et assez jolie », dit-elle, elle aurait pu devenir comédienne, mais refuse les concessions. Elle tâte du journalisme, est notamment rédactrice en chef à La Gueule ouverte. Et puis, en 1982, elle rencontre Jean-Jacques Pauvert, alors éditeur chez Garnier, qui publie sous sa marque Alésia son premier livre : Débandade. Dans la foulée de la « libération » des années 1960, c’était « un appel à changer les règles du jeu érotique », et ça marche. Elle récidive chez Pauvert en 1985 pour Carnet d’adresses, moins sociétal, et qui fait, lui, « un flop total ». Ensuite, Pauvert la « vend » à Robert Laffont, avec qui elle se lie d’amitié. Un temps mensualisée, elle lui donne plusieurs essais ou romans, dont les Mémoires d’Hélène, en 1988, présenté comme l’autobiographie de la reine antique, « la première salope de l’histoire ». Le livre se vend plutôt bien, et permet à Sophie Chauveau de se créer un style, entre l’histoire et le romanesque. Côté essais, en revanche, elle aura moins de chance : Ceci est mon corps, la suite de Débandade, rebaptisé par son éditrice, Françoise Verny, Eloge de l’amour au temps du sida (Flammarion, 1995) est un désastre : « un livre bousillé ».

 

Cette artiste complète (« J’aurais dû être peintre, je peins mais je ne montre pas mes toiles ») vit de ses choix et de sa plume. « Mais je n’ai jamais dépassé le smic ! » dit-elle. Peut-être, cette fois, venu du Nord, des corons, le charbon va-t-il se transformer en or (noir).

Jean-Claude Perrier

Noces de charbon, Sophie Chauveau, Gallimard, 400 p., 20 euros, tirage 20 000 ex. ISBN : 978-2-07-013825-8. Mise en vente le 31 octobre.

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