Pattaya, c’est l’Amérique. C’est Hollywood. Quelque chose comme le cul-de-sac du rêve libéral occidental. Une capitale du plaisir créée par et pour les GI américains et appelée à devenir le plus grand bordel à ciel ouvert du monde. Tout s’achète et s’y vend, les corps, les désirs, bien sûr, les nuits philippines qui sont faussement câlines, un horizon possible dans la perpétuation d’une société qui se reconnaîtrait comme n’étant plus que de consommation, de jouissance infinie. Dans Plateforme, Houellebecq écrivait : "Il n’y a plus rien après Pattaya, c’est une sorte de cloaque, d’égout terminal où viennent aboutir les résidus variés de la névrose occidentale." C’est un peu court, Michel, tant il y a dans les épaves qui jonchent au petit matin les plages et les bars de Pattaya comme autant de paraboles, d’épiphanies…
C’est là ce que nous apprend le magnifique et torrentiel (près de 800 pages !….) premier roman de Jean-Noël Orengo, La fleur du capital. De quoi est-il question dans ce canto furioso ? De cinq personnages en quête, pour paraphraser Céline, "du plus grand chagrin possible avant de mourir". Voici d’abord Marly, qui paie cher d’avoir cru être assez fort pour éloigner de lui les pièges de Pattaya. Voici celle qu’il aime, Porn, une "ladyboy" (garçon devenu fille) qui s’offre à chacun dans l’impavidité fascinante de sa beauté. Voici Kurtz, pour qui la passe est avant tout un art guerrier, Harun, architecte poursuivant un rêve fou, et Scribe qui croit pouvoir de ce désordre grandiose être l’écrivain, le mémorialiste engagé. Voici les nuits, les matins blêmes, les néons des bars, les pauvres chambres. Voici l’Occident en habit de fête qui nous fait une belle fin. Voici une histoire dégoûtante, une très belle histoire d’amour.
De Jean-Noël Orengo, chef d’orchestre inspiré de cette symphonie des adieux, on sait peu de choses. Il achève sa trentaine, a cofondé la plateforme en ligne D-Fiction, vit entre Paris et Bangkok… Son livre surprendra, choquera, saoulera son lecteur. Pourquoi pas, dès lors que sa grande affaire n’est pas "d’éditorialiser" le tourisme sexuel, mais le style, le style et encore le style. C’est un cauchemar magnifique né du plus profond de la nuit, un ressassement hypnotique, une lente explosion. Quelque part sur les rivages de Pattaya, l’Occident libéral crève ? Olivier Mony