Avant-portrait > Filip David

Je m’évertue à comprendre pourquoi tant de malheurs ont émaillé le destin de l’être humain." Cette phrase extraite du roman de Filip David pourrait être prononcée par l’auteur lui-même, obsédé par les dégâts de la guerre, la dictature, le deuil et l’aliénation. Son sort est lié à celui de la Serbie, où il naît dans une famille juive, en 1940. "Je n’ai pas vraiment eu d’enfance, tellement elle était jalonnée par les changements d’identité et la peur d’être tué."

Ce chaos originel continue de l’inspirer, mais sa pensée se nourrit de "la philosophie et [de] la Kabbale. Ce lien entre le réel et le transcendental", qui marque son théâtre, son cinéma ou ses écrits. La maison des souvenirs et de l’oubli en est l’apothéose. "L’écriture me permet de m’interroger sur moi-même. Pour moi, elle est inséparable de la vie." L’écrivain serbe soutient que "les calamités façonnent notre identité", mais aussi la sensibilité de sa plume.

En dernier témoin, Filip David questionne l’humain. D’où vient le Mal ? Comment survit-on au pire ? Albert entend toujours le crissement assourdissant du train qui devait l’emporter avec les siens dans un camp de concentration. S’il a pu s’évader, la suite de son histoire relève du conte ou du cauchemar. D’autres survivants hantent ce roman choral, qui parvient par une économie de mots à aborder l’essence même du mal. "Primo Levi écrit que le silence et l’indifférence, face au crime, font de nous des monstres. Quand ma mère a appris que toute sa famille avait péri, elle a perdu la parole." En Serbie, 85 % de la population juive a été décimée. "Je n’adhère pas au concept d’Hanna Arendt de la banalité du Mal. Certes les crimes se perpétuent, mais sa nature reste mystérieuse…"

 

Opposant à Milosevic

Sous ses faux airs de Marlon Brando, Filip David s’est opposé à Slobodan Milosevic, ce qui lui a coûté son poste de directeur des programmes de radio-télévision. "Ce combat a été motivé par des valeurs morales. Les identités dominantes s’avèrent meurtrières, d’ailleurs l’ex-Yougoslavie demeure une poudrière." Convalescents, ses héros métamorphosent leur douleur en poème philosophique de la mémoire. Fondateur de plusieurs associations d’écrivains, l’auteur assure "qu’en ces temps obscurs, nous devons écrire pour contrer le Mal". Marc-Alain Ouaknin le rejoint dans sa postface : "Il reste la littérature, celle qui nous apprend à lire, à nous lire et peut-être à devenir meilleurs."
Kerenn Elkaïm

 

 

Filip David, La maison des souvenirs et de l’oubli, Viviane Hamy, traduit du serbo-croate par Alain Cappon, prix : 18 euros, 196 p. Sortie : 9 mars. ISBN : 978-2-87858-973-3.

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