Dans l'une des nouvelles de ce recueil à la fois copieux, divers et très charpenté, intitulée "Petites crucifixions", Burroughs raconte comment, enfant, il avait les doigts gercés, crevassés, sanglants et douloureux. Conduit chez la dermatologue par ses parents - des intellos babas cool cinglés et généralement démissionnaires, mais qui lui ont quand même assuré le minimum - celle-ci soigne ses mains. La guérison est en bonne voie. Mais, tombé fou amoureux de sa praticienne, et redoutant, en cas de succès, de ne plus jamais pouvoir la revoir, le gamin se refait saigner exprès, prêt à souffrir - et même à se complaire - dans une espèce de martyre consenti, d'extase christique, plutôt que de renoncer à ce "premier amour" pas tout à fait banal. Heureusement, le docteur finira par découvrir le pot aux roses et tout rentrera dans l'ordre. Son petit soupirant pourra venir la revoir à l'hôpital...
"Petites crucifixions" est emblématique, non seulement du reste du livre, très autobiographique, mais aussi de la démarche de Burroughs. Il se pose volontiers en victime, mais avec toujours la distance et l'humour nécessaire, qui confine souvent à l'autodérision. C'est très gay new-yorkais, juif ou non. A priori non, puisque Burroughs précise quelque part qu'il descend des rois d'Ecosse, et trace un tableau sans pitié de sa famille, originaire de Géorgie, si raciste qu'il se rêve en Noir pour les enquiquiner.
Enfant traumatisé, cancre alcoolo et toxico - aujourd'hui "clean" - devenu un "essayiste trash" friqué, connu et reconnu dans les milieux intellectuels chics et libéraux de son pays, il est peu probable que Mitt Romney et sa clique figurent parmi les lecteurs de Burroughs ! Il incarnerait même plutôt tout ce qu'ils détestent.
Ici, bien sûr, ces nouvelles confessions de saint Augusten, mélange de paranoïa, de mauvaise foi et de politiquement incorrect, font nos délices. Et un garçon qui aime à ce point les chiens ne saurait être mauvais. Toutefois, son mari, Dennis, ne doit pas rigoler tous les jours ! C'est peut-être lui qui mériterait d'être canonisé.