2 janvier > Roman Nigéria

De temps en temps, un livre sur les races, leur cohabitation, leurs parties de cache-cache, vient faire bouger les lignes. On ne parle pas ici de tel ou tel hexagonal et étroit polémiste, mais d’écrivains (Toni Morrison, Michael Ondaatje, Salman Rushdie, liste non close) qui savent qu’il n’y a pas d’autres façons sérieuses d’aborder ces problèmes que par le versant du roman. Chimamanda Ngozi Adichie est de ceux-là. Découverte en France lors de la publication de son premier roman, L’hibiscus pourpre (Anne Carrière, 2004), on peut penser que l’ample et magistral Americanah devrait lui valoir enfin une pleine reconnaissance du public comme de la critique. C’est en tout cas ce qu’il advint en Angleterre et aux Etats-Unis, où Americanah s’est vendu à plus de 500 000 exemplaires et a reçu les éloges de confrères aussi différents que Dave Eggers ou Colum McCann.

De quoi s’agit-il ? Au fond, d’une histoire d’amour, de famille et de solitude. L’histoire d’Ifemelu, jeune Nigériane issue de la "bourgeoisie" un peu déclassée de Lagos, très brillante et assez insolente, qui un jour quitte son pays pour poursuivre ses études aux Etats-Unis. Le jeune homme qu’elle aime, Obinze, à qui rien de ce qui est américain ne paraît hostile, se promet de la rejoindre. La vie et les aléas politiques séparent ceux qui s’aiment et donnent des contours plus inquiétants aux rêves de nouvelle frontière. Obinze partira finalement en Angleterre et reviendra vers son pays pour s’y marier et participer à la construction d’un Etat démocratique. Ifemelu, elle, restera quinze ans outre-Atlantique, période suffisante pour apprendre ce que peut signifier se sentir Noire en un pays où ce ne serait pas la norme. Elle aussi reviendra vers le pays natal, vers son amour perdu. Rien n’aura changé et tout sera différent…

Ce qui fait d’Americanah un roman aussi puissant et ample, c’est moins son propos que l’extraordinaire sens de la narration d’Adichie, son humour, sa capacité, en une scène le plus souvent, à camper des personnages inoubliables. Autour de ses deux jeunes héros, gravitent autant de caractères, d’ambitions, de chagrins. Il y a dans ces cinq cents pages un sens de la fresque sociale qui pourrait apparenter Adichie à une Franzen afro-américaine, mais aussi un goût des contrastes violents qui la rapprocherait d’une certaine forme de réalisme magique. En tout cas, elle a la politesse de nous laisser oublier tout au long de la lecture combien son propos est intelligent et juste. Il est permis de se donner tout le temps d’y repenser ensuite. O. M.

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