L'amende de 16,5 millions de francs suisses (13,4 millions d'euros) annoncée le 12 juin dans un communiqué de la Commission de la concurrence (Comco) de la confédération helvétique frappe dix diffuseurs/importateurs de livres français en Suisse romande, dont sept appartiennent à des groupes français: Dargaud, Diffulivre (groupe Hachette), Glénat, Interforum, 5 Frontières (Gallimard), Flammarion et Servidis (la Martinière/Slatkine).
La Comco reproche à ces diffuseurs d'avoir interdit aux libraires suisses «de s'approvisionner à des prix inférieurs à l'étranger, et particulièrement en France, entre 2005 et 2011». Elle leur ordonne de mettre fin à cette entrave: «les diffuseurs-distributeurs devront adapter leurs contrats et comportements de manière à permettre aux détaillants qui le désirent, un approvisionnement alternatif aux canaux traditionnels conformément au principe de concurrence». Les entreprises concernées peuvent déposer un recours contre cette sanction dans un délai d'un mois, devant le tribunal administratif, tout d'abord, et devant le tribunal fédéral ensuite.
Les libraires indépendants ne sont pas d'accord avec cette décision, qui pénalise «des partenaires commerciaux des libraires romands, sans avoir d'effets directs sur le prix des livres - contrairement à ceux qu'auraient eu la Loi sur le prix du livre si elle était entrée en vigueur» regrettent-ils dans un communiqué publié le même jour.
La décision de la Comco, qui a démantelé depuis une vingtaine d'années tous les accords interprofessionnels sur le prix du livre en Suisse romande et alémanique, repose sur le principe que la concurrence assure le fonctionnement efficace d'un marché, et notamment des prix aussi bas que possible. Elle considère qu'aucune exception ne se justifie pour le livre.
La qualité plutôt que le prix
Les libraires indépendants jugent que la qualité de service est plus importante pour leurs clients que le prix. «Aujourd'hui, pour le libraire romand, le nerf de la guerre est la rapidité. Pour répondre à la demande de sa clientèle, il doit être en mesure de fournir les livres dans les plus brefs délais, 24 à 48 heures» - ce dont rêvent les libraires français, et ce que permet l'organisation actuelle de la diffusion-distribution en Suisse, alors que ce serait irréalisable avec «un approvisionnement direct de France».
Cette qualité de service a bien sûr un coût, qui a fait débat lors du référendum concernant la loi sur le prix du livre (repoussée). La chute de l'euro par rapport au franc suisse a envenimé la discussion, nombre d'intervenants extérieurs au secteur estimant que le prix des livres importés aurait dû baisser, en francs suisses. Le surcoût de cette diffusion-distribution exclusive pour un marché de 1,5 million d'habitants va de 20 à 35% par rapport au prix d'origine des livres
Pascal Vandenbergh, directeur de Payot, premier réseau de librairies de Suisse romande estime pour sa part que ce différentiel reste trop élevé, et lui pose un problème de compétitivité par rapport à Internet et à la Fnac Suisse, qui importe aujourd'hui ses livres en euros depuis sa plateforme de distribution de Massy. Il attend donc une baisse des prix fixés par les diffuseurs, solution plus simple au projet d'importation directe qu'il avait annoncé début 2012.
Le prix des livres aurait baissé d'environ 15%, selon les estimations des professionnels, non confirmées par une étude ou par un indice des prix, le livre n'étant pas suivi dans le calcul de l'inflation en Suisse. La marge des libraires est proportionnelle au prix du livre, dont la diminution entraîne une baisse de la rentabilité des revendeurs, sauf si elle est compensée par une hausse des volumes de vente.
Depuis l'automne dernier, les libraires ont constaté une reprise de leur activité, après un premier semestre 2012 très médiocre. Mais leur situation reste très fragile, insistent-ils dans leur communiqué, et «la décision de la Comco l'accentue».