Il n'aimait pas les biographies, il préférait l'histoire complexe, celle qui raconte l'époque dans les interstices des documents, celle qui fait émerger de façon subreptice une sensibilité perdue. Catholique, maurrassien, cet historien de droite fascinait ceux de gauche. Comme eux, Philippe Ariès (1914-1984) évitait les sentiers battus où l'on repasse toujours devant les mêmes figures et les mêmes monuments. Il n'aimait pas être rassuré. Le passé n'était pas pour lui un terrain conquis. Cet « historien du dimanche » comme il se qualifiait lui-même, résidait en marge de l'université. C'est ce qui lui a permis d'explorer des champs inédits, déjà un peu balayés par les fondateurs des Annales dont il dévorait les travaux. En travaillant sur la mort, l'enfance, la vie privée, il devint un pionnier de l'histoire des mentalités.
Guillaume Gros a réuni des dizaines d'articles dispersés dans des revues. Le plus souvent, il s'agit de lectures et de comptes rendus. Philippe Ariès y parle aussi bien des civilisations antiques que du syndicalisme français. On retrouve dans ce volume la richesse d'un esprit et cette chose extraordinairement précieuse quand on sonde le passé avec les lunettes du présent : la curiosité.
Elle se manifeste aussi dans sa virtuosité à se saisir des phénomènes anciens et à appréhender ceux de son temps. Ainsi, lorsqu'il évoque l'essai sur l'accélération de l'histoire de Daniel Halévy il a ces mots d'une justesse confondante. « Le grand phénomène des temps modernes, ce n'est ni la vapeur ni l'électricité, ni même l'énergie atomique. C'est bien l'importance que l'événement a pris dans la vie des hommes, un événement dont la vitesse de modification dépasse les capacités de l'homme. »
Si nous avons oublié la plupart des auteurs qui sont recensés, il reste la manière de faire de Philippe Ariès, son style, cette façon de dire les choses sans chichis ni blablas. A propos de l'édition historique il remarque en 1948 que « les collections d'histoire générale prolifèrent comme les champignons après la pluie ». Il le déplore évidemment car il défend « la valeur d'une histoire qui ne soit pas un récit, une suite d'événements, de causes et d'effets ».
On voit bien ici s'articuler la complexité d'une approche. En fait, c'est moins la concordance que la discordance des temps qui sollicite Ariès. « L'histoire nous intéresse par ce qu'elle révèle de la différence des temps, par les problèmes qu'elle soulève sur le devenir des mentalités. » Pas de doute, la sagesse de Philippe Ariès nous manque. Mais nous avons la possibilité d'en retrouver la saveur dans ces récréations, ces dimanches d'un grand historien, qui complètent fort bien ses grands travaux. Certains textes sont datés, mais on retient cet appétit de savoir et cette façon de parler de l'histoire qui permet de comprendre comment il en faisait.
Pages retrouvées - Edition et préface Guillaume Gros
Cerf
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 24 euros ; 304 p.
ISBN: 9782204128339