Elle n’était plus rien : une rumeur, un vague souvenir. A l’autre bout du monde, en Australie, tout juste faisait-elle l’ordinaire des bouquinistes puisque, entre 1957 et 1966, Elizabeth Harrower avait publié quatre romans, puis, rideau. Elle dira que la mort de sa mère, en 1971, l’avait laissée comme hors du monde, loin des rivages de l’écriture. Quarante ans plus tard, un couple d’éditeurs de Sydney la retrouve, entreprend de rééditer ses livres et apprend de sa bouche qu’un manuscrit inédit attend d’être publié depuis qu’elle a cessé d’écrire. Ce "roman Lazare", Un certain monde, inouï de grâce, célébré avec enthousiasme du New Yorker au Guardian, lui vaudra une reconnaissance tardive (elle a aujourd’hui 87 ans), mais certainement durable. Après le monde anglophone, et avant une dizaine d’autres pays partout en Europe, la France, grâce aux bons soins des éditions Rivages, s’apprête à son tour à s’adonner aux sortilèges de la mémoire et de l’oubli orchestrés par Elizabeth Harrower.
Sydney, juste après la guerre. Pour Russell et Zoe, frère et sœur issus de la meilleure société, l’avenir promet de durer longtemps. Pour Stephen et Anna, deux orphelins unis par les mêmes liens, c’est moins sûr, mais il n’est tout de même pas interdit de croire aux lendemains qui chantent. Ces quatre-là vont dans le désordre de leurs vies, vingt ans durant, s’aimer, voyager, se perdre, s’éviter, s’attirer, se consoler, avant de comprendre plus ou moins douloureusement que toute existence n’est que séparations et souvenirs. Cette symphonie des adieux, Elizabeth Harrower la compose tout en édens perdus, par touches impressionnistes. La puissance paradoxale de sa capacité d’évocation la situe dans une lignée venant de James et passant par Virginia Woolf ou par sa trop méconnue compatriote, Shirley Hazzard. Un certain monde, assurément. Le meilleur. O. M.