Figure de la rentrée littéraire 2017, Véronique Olmi a été sélectionnée dans au moins sept prix littéraires, dont le Goncourt et le Femina, pour Bakhita (Albin Michel). Elle a finalement remporté le prix du Roman Fnac et le prix littéraire Patrimoines de la banque privée de la Banque postale (BPE). Deux récompenses, créées par des entités privées, qui lui ont non seulement fait bénéficier d'une visibilité médiatique notable, mais aussi permis de rencontrer des publics diversifiés. « La lauréate a accepté une séance de signatures en interne. Ça a été un moment de célébration pour nos collaborateurs, un moment privilégié », se félicite Benoît Brayer, responsable de l'action culturelle au sein de Fnac Darty.
Défiscalisé
Le prix littéraire, un élément fédérateur au sein d'une entreprise ? Chez l'assureur Groupama, à l'initiative en 2016 du prix Stanislas en partenariat avec la manifestation Le Livre sur la place, à Nancy, on en est convaincu. « Notre prix littéraire s'inscrit dans la durée. En amont, nos collaborateurs envoient des lettres de motivation pour intégrer le jury. Pendant, ils participent aux délibérations et à la remise de prix. Le reste de l'année, ils soutiennent l'auteur qui se déplace en agence, où on a préalablement distribué son livre », explique Franck Grelaud, directeur des ressources, communications et institutionnel. Groupama investit 30 000 euros dans l'organisation de son prix littéraire. Cet investissement est défiscalisé puisque l'assureur en fait un don, en qualité de mécène. Mais l'initiative reste encore rare dans le milieu de l'édition.
« Si le mécénat culturel en France mobilise environ 400 millions d'euros par an, à peine 1 % revient à l'édition », évalue François Debiesse, le président d'Admical. Cette association, qui regroupe 200 mécènes en France, a recensé une quinzaine de fondations d'entreprise qui se prêtent au mécénat littéraire. Parmi elles, la Fondation La Poste (prix Sévigné, Wepler, « Envoyé par La Poste »), la fondation SNCF (prix du polar SNCF), la fondation Orange (prix Orange du livre) mais aussi les fondations de Cartier et de Malongo. « Les prix littéraires peuvent être utilisés comme un outil de fidélisation au sein d'une entreprise. Aujourd'hui, les salariés, notamment les jeunes, sont en quête de sens dans leur travail. Les prix sont généralement en accord avec la stratégie des entreprises. Le groupe La Poste joue sur la correspondance et les manuscrits, tandis que Lagardère met en avant sa filiale Hachette Livre dans le cadre de ses bourses », observe François Debiesse.
Nouveaux clients
La plupart des entreprises à l'initiative de prix littéraires ne le font pas par altruisme. « Nous essayons aussi de capter de nouveaux clients », indique Frédéric Walther, directeur général de Domitys, réseau de résidences seniors. Depuis 2012, cette société privée met à contribution les clubs de lecture de chacune de ses 80 résidences pour organiser un prix littéraire, en partenariat avec la librairie parisienne Lamartine. Les personnes extérieures, habitants des communes environnantes aux résidences, sont également invitées à participer. « C'est une manière comme une autre de se faire connaître. Ce prix littéraire fait partie de notre programme d'activités au même titre que nos défis sportifs », précise Frédéric Walther.
Public prescripteur
Se faire connaître, rendre son image de marque identifiable... c'est également l'objectif de Jean-Marc Ribes, le directeur général de la banque privée BPE. Créé en 2016, organisé par l'attachée de presse Floryse Grimaud et le service de communication de la BPE, le prix Patrimoines « distingue chaque année un roman de la rentrée littéraire qui porte des idées de solidarité et célèbre la langue française. Autant de "patrimoines" à transmettre qui sont les valeurs de la Banque privée BPE », expliquent les organisateurs. A la remise du prix, environ 300 clients de la banque patrimoniale sont invités à un cocktail de haut vol à l'hôtel Choiseul-Praslin, à Paris. Le lauréat se prête à une séance de signatures après les discours. « Nos clients sont cultivés et à l'écoute de ce type d'initiative complémentaire des évènements sportifs auxquels nous pouvons les convier par ailleurs », fait valoir Jean-Marc Ribes.
Un prix littéraire bien mécéné constitue en tout cas une source non négligeable de recettes pour l'éditeur. Groupama commande « au moins 500 livres » à distribuer auprès de ses collaborateurs. A la BPE, « Nous commandons un millier de livres ». A ces investissements s'ajoutent les dotations pour les lauréats, entre 1 000 et 5 000 euros, et le coup de projecteur donné par les bandeaux rouges apposés sur le livre vainqueur. « On a tous besoin d'être soutenus et pas cachés dans notre coin à dire non, je ne mangerai pas de ce pain-là », assume Sébastien Spitzer, lauréat 2017 du prix Stanislas-Groupama pour son premier roman, Ces rêves qu'on piétine (L'Observatoire). Il dit garder un « super souvenir » du cocktail organisé par Guerlain, partenaire du prix des Lectrices de Elle, dans leur parfumerie historique des Champs-Elysées. « Qu'il s'agisse de lectrices d'un magazine féminin, de collaborateurs d'un assureur ou d'un parfumeur, pour moi, c'est le même public », souligne-t-il.
Réseaux sociaux
Ce public est aussi prescripteur, constate Sylvie Ducas, enseignante et chercheuse à l'université de Paris-Nanterre et auteure de La littérature, à quel(s) prix ? (La Découverte, 2013). « Avant, les grands prix d'automne et les critiques littéraires faisaient vendre des livres. Aujourd'hui, ces instances se sont démultipliées. Chacun est prescripteur par le biais notamment des réseaux sociaux, et l'entreprise y va aussi de ce pas », argumente-t-elle. Chacun prescrit aussi selon ses propres intérêts. Dans son bureau, Jean-Marc Ribes saisit les deux livres auréolés par les prix Patrimoines 2016 et 2017. Les deux exemplaires sont parés de bandeaux rouge sang. « Regardez bien la différence entre ces deux bandeaux. Sur le premier, on a marqué "Prix Patrimoines" au recto et apposé le logo BPE au verso. Nous n'avons pas précisé qu'il s'agissait d'un prix organisé par une banque. Du coup, l'année suivante, afin d'améliorer la notoriété de notre banque auprès de nos clients, nous avons précisé au recto "Prix Patrimoines Banque BPE, groupe de La Banque postale. »
Daniel Picouly « Les salariés se projettent sur le lauréat »
L'écrivain est juré dans au moins trois prix littéraires organisés par des entreprises : le prix Marcel-Pagnol, le prix littéraire Patrimoines de la BPE et le prix Stanislas-Groupama.
Comment appréhendez-vous l'implication du monde de l'entreprise dans les prix littéraires ?
La diabolisation de l'argent ou du privé, c'est ridicule. Il y a énormément de manifestations qui disparaîtraient si le privé n'était pas intéressé. Compte tenu du désengagement violent des institutions publiques, qu'est-ce qu'on peut faire ? Soit on garde un esprit puriste, soit on évalue ce que ces entreprises nous apportent et ce qu'on leur apporte. Cela ne représente en aucun cas pour moi un désagrément moral.
Que représente un prix littéraire au sein même d'une entreprise ?
Pour ses collaborateurs, un prix peut être très important car il donne une sensation d'appartenance. Les salariés ont le sentiment que ce prix est le leur. Le lauréat est aussi important pour eux puisqu'ils se projettent sur lui. Le lauréat représente aussi, d'une certaine manière, les valeurs de l'entreprise dans laquelle ces salariés travaillent.
Etes-vous rémunéré en tant que juré ?
Non, je ne l'ai jamais été et ne le serai jamais. Etre juré me donne l'opportunité de découvrir un panorama de la littérature française, et notamment des premiers romans, qui est exceptionnel. Jamais je n'aurais découvert autant de premiers romans si je ne participais pas à ces prix-là ! Je suis accro à la découverte de talents.