Prix d’automne

Les Goncourt tiennent le cap

Mathias Enard chez Drouant. - Photo Olivier Dion

Les Goncourt tiennent le cap

En consacrant Mathias Enard, le jury Goncourt a salué une littérature exigeante et offert à Actes Sud une fin d’année en apothéose. Si la thématique orientale s’impose dans cette saison des prix, le récit intimiste et partiellement autobiographique a aussi su séduire plusieurs jurys.

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Par Marine Durand
Créé le 06.11.2015 à 01h03 ,
Mis à jour le 06.11.2015 à 10h27

Un tour de scrutin aura suffi à Mathias Enard pour entrer dans l’histoire littéraire française. Mardi 3 novembre, loin des tractations et alliances de dernière minute de l’an dernier, six des neuf académiciens Goncourt présents chez Drouant - la doyenne, Edmonde Charles-Roux, ne s’est pas déplacée - ont choisi de donner leur voix à Boussole (Actes Sud). Deux voix sont allées à Tobie Nathan (Ce pays qui te ressemble, Stock) et une à Hédi Kaddour (Les prépondérants, Gallimard). En couronnant le neuvième ouvrage de l’auteur de 43 ans, déjà lauréat du prix Décembre en 2008 (Zone, Actes Sud) et du Goncourt des Lycéens en 2010 (Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants, Actes Sud), le jury a distingué aussi bien une œuvre qu’un livre, jugé "somptueux dans son érudition", selon le président Bernard Pivot, et dont les critiques littéraires interrogés par Livres Hebdo la semaine dernière souhaitaient la victoire, à défaut de l’avoir pronostiquée.

Françoise Nyssen, patronne d’Actes Sud, à côté de Didier Decoin et Patrick Rambaud.- Photo OLIVIER DION

"Oui, on a choisi la littérature"

Surtout, les Goncourt ont poursuivi la trajectoire entamée en 2014 avec le couronnement de l’exigeant Pas pleurer de Lydie Salvayre (Seuil). "Oui, on a choisi la littérature avec ce livre qui peut aider à faire le pont entre Orient et Occident", assumait Régis Debray, lui qui expliquait il y a quelques semaines sur France Inter vouloir à la fois faire honneur à la littérature et contenter la librairie. De son côté, Tahar Ben Jelloun sommait les journalistes de bien choisir leur vocabulaire au sujet de l’œuvre : "Dites "exigeante", pas "difficile", sinon personne ne va l’acheter !" De quoi marquer un peu plus la différence avec le jury du Renaudot, qui annonçait quelques secondes plus tard le couronnement de Delphine de Vigan pour le déjà populaire D’après une histoire vraie (JC Lattès), un an après David Foenkinos, et offrait son prix essai à Didier Blonde (Leïlah Mahi 1932, Gallimard) et un plus surprenant Renaudot poche à La fiancée était à dos-d’âne de Vénus Khoury-Ghata (Folio), publié à l’été 2014.

Politiques

Récit ouvert sur le monde arabe contre roman à tonalité autobiographique, cette dualité marque la saison 2015 des prix littéraires, même si le Médicis et l’Interallié n’étaient pas encore dévoilés à l’heure où nous mettions sous presse. "Oui, ce sont deux romans politiques", affirme la secrétaire perpétuelle de l’Académie française, Hélène Carrère d’Encausse, à propos des deux colauréats de l’institution, le 29 octobre : 2084, la fin du monde de Boualem Sansal, sur l’avènement d’une dictature religieuse, et Les prépondérants de Hédi Kaddour, situé dans le Maghreb des Années folles (les deux chez Gallimard).

Au Femina, au contraire, "nous avons été touchées par ce roman émouvant, à la construction très originale", expliquait le 4 novembre la présidente du jury, Christine Jordis, en consacrant le premier roman de Christophe Boltanski, La cache (Stock), évoquant l’histoire de sa famille d’artistes pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans les très chics salons du Cercle Interallié, l’Ecossaise Kerry Hudson est venue recevoir le Femina étranger (La couleur de l’eau, Philippe Rey), et Emmanuelle Loyer le Femina essai pour son Claude Lévi-Strauss (Flammarion) centré sur l’homme autant que sur le savant. "Il y a un bon équilibre entre les trois lauréats et je suis heureuse que nous ayons primé deux jeunes femmes. Mais comme nous ne sommes pas sectaires, nous avons aussi distingué un homme", analysait la nouvelle jurée Evelyne Bloch-Dano.

Signe d’un cru 2015 un peu plus paritaire qu’à l’ordinaire, le jury du prix Décembre a lui aussi récompensé une femme, Christine Angot pour Un amour impossible (Flammarion). Jugé plus facilement primable que le reste de son œuvre, ce roman contant la rencontre entre les parents de la romancière s’est facilement imposé dans le cœur des jurés, comme le résumait Amélie Nothomb : "Les débats ont été d’une facilité déconcertante."

Renaudot : blonde on Blonde

De droite à gauche : Delphine de Vigan, Karina Hocine, son éditrice chez Lattès, et David Foenkinos, lauréat 2014. - Photo OLIVIER DION

Après David Foenkinos l’an passé, les jurés du Renaudot consacrent une nouvelle fois un auteur et un roman qui ont déjà conquis le public. Delphine de Vigan l’emporte au 5e tour de scrutin grâce à un roman dépeint comme "vertigineux" par Jérôme Garcin, également l’un des premiers soutiens de Didier Blonde, qui remporte le Renaudot essai au 2e tour.

Femina : Boltanski dans la sérénité

Christophe Boltanski.- Photo OLIVIER DION

De l’avis des jurées, les débats ont été apaisés cette année au Femina. Le primo-romancier Christophe Boltanski et son roman La cache (Stock) se sont imposés avec sept voix au deuxième tour, et Emmanuelle Loyer, lauréate du Femina essai pour Claude Lévi-Strauss (Flammarion), dès le premier avec sept voix également. Avec six voix contre cinq, la jeune Kerry Hudson a remporté le prix étranger pour La couleur de l'eau (Philippe Rey) face au vétéran Martin Amis.

Angot en Décembre

Josyane Savigneau et Pierre Bergé, deux membres du jury, avec Christine Angot. - Photo OLIVIER DION

"La principale qualité que doit avoir un écrivain, c’est la patience", a souligné Christine Angot, choisie dès le premier tour par les jurés du prix Décembre. "Initialement, le prix avait été créé pour réparer des impairs. Je crois que nous avons fait notre travail", a relevé Josyane Savigneau, qui cède la présidence du jury à Eric Neuhoff.

Académie : duo de consolation

Boualem Sansal 2015
Boualem Sansal en 2015 lors de la remise du Grand prix du roman de l'Académie française- Photo OLIVIER DION

Toujours à égalité après quatre tours de vote, Hédi Kaddour et Boualem Sansal se partagent finalement le 100e grand prix du Roman de l’Académie française. Un dénouement "démocratique" et "conforme aux statuts", selon les jurés, même si certains académiciens comme Jean-Loup Dabadie ont regretté qu’il rende le prix "moins prestigieux aux yeux du public".

Les lauréats des grands prix décernés

Prix Goncourt : Boussole de Mathias Enard, Actes Sud.
Prix Renaudot, roman : D’après une histoire vraie de Delphine de Vigan, JC Lattès.
Prix Renaudot, essai : Leïlah Mahi 1932 de Didier Blonde, Gallimard.
Prix Renaudot, poche : La fiancée était à dos d’âne de Vénus Khoury-Ghata, Folio.
Prix Femina, roman : La cache de Christophe Boltanski, Stock.
Prix Femina, roman étranger : La couleur de l’eau de Kerry Hudson, Philippe Rey.
Prix Femina, essai : Claude Lévi-Strauss d’Emmanuelle Loyer, Flammarion.
Prix du Roman de l’Académie française : ex aequo, Les prépondérants d’Hédi Kaddour, Gallimard ; 2084, la fin du monde de Boualem Sansal, Gallimard.
Prix Décembre : Un amour impossible de Christine Angot, Flammarion.

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