6 mars > Roman France

"Je suis enceinte, j’entends des voix." Bienvenue, dès la première phrase, dans la tête habitée de Claire Castillon. Il y a longtemps que l’on sait que la voix feutrée de l’écrivaine et son visage de madone brune trompent sur les pensées féroces et crues qui hantent son écriture. Près de quinze ans qu’elle balance des bombes sur la famille, les relations mère-fille - Insecte (Fayard, 2006) -, le couple - Les couplets (Grasset, 2013). Quand elle ne prête pas ses mots noirs à des filles cassées - Les merveilles (Grasset, 2012).

Dans Eux, son premier roman à L’Olivier, qui amplifie les voix intérieures d’une femme de 37 ans pendant la gestation de son premier enfant, ne vous attendez donc pas à des extases béates sur la joie-de-couver-un-petit-être-qui-grandit-en-vous… Angoisse, paranoïa, visions de cauchemars, voilà ce que la grossesse exacerbe ici.

Car, s’obsède la narratrice, elle n’est pas seule à attendre ce bébé. Des prédateurs, "les héréditaires", les ascendants, toute la généalogie, guettent aussi l’arrivée de l’enfant. "Leur caresse est un loup, installé sous mes côtes. Je ne peux pas les faire taire, sauf à leur faire la peau, mais leur peau c’est la mienne." "Petite poule, poupée gigogne, allez, donne-nous ton œuf", harcèlent les voix. Parmi les plus menaçantes, il y a celle de la mère, accablante de petits conseils mais aussi peu supportrice que possible. Raide et froide.

"J’avais souvent l’idée que, si je lui enfournais une plaque de chocolat, il en ressortirait un sorbet." Le père de l’enfant, l’amant - "mon gars " -, fait-il lui aussi partie du camp des héréditaires ? Ce n’est pas tranché. Il est là, mais il est sourd. En attendant, la femme enceinte brode, "un arbre, racines en l’air, et feuilles fourrées dans le sol", fabrique des brouilleurs d’ondes pour éloigner les esprits malveillants. Elle tente de condamner les accès. "Je me replie dans ma tête.""Je veux un ventre libre et seul."

Faisant de la possession- dépossession l’enjeu central de la maternité, Claire Castillon exprime aux limites de la folie les peurs les plus animales, mais aussi les plus communes de la grossesse.

Véronique Rossignol

27.02 2014

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