Une calavera (tête de mort) sur la couverture et un titre sans ambiguïté : Pierre Place annonce la couleur, en l'occurrence le noir qu'il manie, associé au blanc et aux gris, avec une virtuosité confondante. Muertos (morts, en espagnol) déroule sur 150 pages une course endiablée contre la grande faucheuse, hommage au cinéma horrifique et politique de George Romero. Un morceau de bravoure d'un auteur, né en 1981, qui porte dans une nouvelle dimension la fascination pour le folklore mexicain - la révolte sociale, le jour des morts et toute l'imagerie qui les accompagne - qu'il avait déjà manifestée dans Zapatistas (Aaarg !, 2015).

Dans une hacienda caractéristique du Mexique profond du début du XX^e siècle surgissent soudain de nulle part un, puis deux, puis une multitude de calaveras, figures écorchées, muettes mais excessivement agressives, seulement mues par une pulsion inextinguible de meurtre. Bourgeois ou peones, tous sont la cible d'une colère vengeresse puisée au plus profond de la misère sociale. Un groupe hétéroclite parvient à s'échapper grâce à un camion, une voiture et une poignée de chevaux. Parmi eux une institutrice au grand cœur et au prénom correspondant, Luz (lumière, en espagnol), le jeune poète Eulalio, qui lui fait la cour, le patron, Don Alvaro, son épouse et d'autres membres de leur famille, un padre au christianisme à éclipses, des contremaîtres et hommes de main tels Pancho, Adolfo et Benito, et surtout Capataz, énergique et brutal chef de bande, qui organise leur fuite dans un pays à feu et à sang.

À la recherche d'un refuge et d'une aide, d'un bourg à l'autre puis dans la jungle où ils tentent de se cacher, les rescapés ne rencontrent que violence et massacres perpétrés par des hordes sans cesse grossissantes de calaveras. Pierre Place met en scène tout cela dans l'esprit d'un western, d'un trait réaliste tout en bruit et en fureur. Surtout, campant une théorie de personnages tous plus pittoresques les uns que les autres, il fait peu à peu ressortir un dispositif complexe de relations et de tensions sociales qui tient son rôle dans le cataclysme.