21 avril > Essai France

Du Banquet de Platon où Socrate et consorts devisent de l’amour à la table où est reçu le marquis de Norpois dans A la recherche du temps perdu en passant par le boulimique Gargantua ou Le festin de Babette de Karen Blixen… Les nourritures terrestres donnent l’occasion aux mots de décrire odeurs et saveurs, de faire montre de son goût en matière aussi bien culinaire qu’esthétique. La fourchette dessine la vision du monde de qui la manie. A priori, quand on pense bons plats en littérature, ce n’est pas forcément Houellebecq qui vient à l’esprit.

Que nenni !, pense Jean-Marc Quaranta qui consacre à l’auteur des Particules élémentaires, avec un essai hybride entre analyse textuelle et livre de recettes, Houellebecq aux fourneaux, à paraître aux éditions Plein jour, dont la ligne est l’emprise avec le réel. L’auteur met ici littéralement la main à la pâte : en trifouillant, malaxant, pétrissant dans les œuvres du romancier, il extrait un ouvrage étonnant. A première vue, le réalisme triste sinon misanthrope de Houellebecq n’a rien à voir avec le manger, concède Quaranta. L’aigre agresse le palais plus qu’il ne titille les papilles : le désenchantement est le contraire de l’appétit. Mais à y regarder de plus près, la nourriture témoigne de quelque chose qui dépasse le goût même : "Dans cet univers romanesque où tout est décapé à l’acide du regard sociologique (comme dans certains romans de Perec), la cuisine conserve la mémoire que nous fûmes des hommes, après avoir été des bêtes et avant de devenir des consommateurs, des animaux politiques sans cité, des citoyens sans droits ni devoirs - sauf ceux de consommer et de désir, sans avoir." Michel commande un dernier menu gastronomique dans Extension du domaine de la lutte. A Saint-Denis-lès-Martel se déroulent les "agapes franchouillardes" de François dans Soumission. Dans l’assiette s’opère une forme de résistance, une résistance molle à la noirceur, un dernier ancrage dans la communauté des vivants, comme la nostalgie d’un partage, fût-ce avec soi-même. La bonne chère est ce qui reste du doux-amer pays de son enfance. "Il y a un côté Cuisine et vins de France chez Houellebecq ; le territoire se confond avec le terroir, la carte routière avec celle du restaurant et les errances dans la décadence aseptisée d’une fin de monde ressemblent aux "Escapades de Petitrenaud". " Cela dit, d’entre toutes les recettes données, on ne peut s’empêcher de penser que la madeleine houellebecquienne est quand même plus proche du céleri rémoulade que des raviolis à la ricotta et à la menthe. Sean J. Rose

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