Huysmans est l’emblématique romancier fin de siècle aux prises avec le matérialisme, converti au catholicisme. François, le narrateur du nouveau roman de Michel Houellebecq, Soumission, en est le spécialiste. Si l’universitaire, un quadra célibataire, a quelque chose du héros huysmansien, il est avant tout houellebecquien. Tous les thèmes y sont : la solitude que ne pallie pas le consumérisme sexuel, l’angoisse de l’individu lesté d’une autonomie absurde, l’irrésistible montée de l’islamisme, la démocratie libérale en faillite. Dire que Houellebecq éprouve quelque insatisfaction avec le réel est une litote. Qu’il y ait, selon lui, beaucoup à redire sur le monde contemporain n’est pas un scoop non plus. Son premier livre était un essai consacré à un auteur de SF antimoderniste et misanthrope : H. P.Lovecraft : contre le monde, contre la vie (Rocher, 1991). Extension du domaine de la lutte (Maurice Nadeau, 1994) exposait le darwinisme social et sexuel, conséquence logique d’une libéralisation des mœurs alliée à la loi du marché. Les particules élémentaires (Flammarion, 1998) dépeignait une génération sacrifiée sur l’autel de l’épanouissement de leurs parents, soixante-huitards égoïstes centrés sur leur plaisir. Avec Soumission, Houellebecq en remet une couche. On n’en est plus à pleurer sur "l’identité malheureuse" (Alain Finkielkraut), c’est "le suicide français" (Eric Zemmour) illustré, le plein effet du "grand remplacement" "prophétisé" par Renaud Camus et consorts identitaires : l’islamo-substitution a eu lieu. La France à la fin du second mandat de François Hollande, qui avait réussi à se faire réélire en 2017 en faisant "lamentablement" monter le Front national, se retrouve avec un président islamiste. Face à Marine Le Pen au second tour, Mohammed Ben Abbes, de La Fraternité musulmane, a été soutenu par un front républicain PS-UMP-UDI. Le nouveau président n’entend pas imposer la charia, sauf que la fac où enseigne François s’appelle désormais Université islamique Paris-Sorbonne. Financée par l’Arabie saoudite, l’institution n’emploiera plus que des professeurs musulmans. François qui ne croit en rien démissionne. Dommage pour le sexe : enseigner avait ça de pratique qu’on pouvait coucher avec ses étudiantes. François revoit des ex, décaties, sans enthousiasme. Rien ne le console en vérité du départ de la jeune Myriam d’origine juive qui a émigré avec ses parents en Israël. Lors d’une de leur dernière rencontre, l’amant était partagé : "Je n’avais pas envie de baiser, enfin j’avais un peu envie de baiser mais un peu envie de mourir en même temps." Individualisme effréné sans perspective, cercle vicieux d’une séduction anxiogène… Voilà tout le paradoxe de l’homme contemporain : libre dans un désert de sens. Patriarcat, polygamie, structure sociale pérennisée, destin personnel pris en mains, la solution ne serait-elle pas de se convertir, de se soumettre aux lois d’Allah ? La politique-fiction de Houellebecq est une réduction à l’absurde de ses réflexions sur l’époque. A prendre cum grano salis, cette dose d’humour corrosif qui rédime la noirceur du tableau. L’aigreur ne manque ici pas de sel. Sean J. Rose