Le soir de Noël 1990 où, après plus de vingt ans, Daniel Filipacchi annonça à Annick Geille son intention de se séparer d'elle, il aurait pu la tuer. Il fit pire, il la déçut. Le "mogul" de la presse magazine, Dorian Gray échappé des années Golf Drouot, fantôme des Champs et du temps du Drugstore, dans le sillage duquel flottait comme la promesse de parvenir à ne jamais cesser d'être moderne, avait auprès de sa collaboratrice tous les droits (y compris celui de la couvrir d'honneurs et de responsabilité pour mieux ne jamais lui accorder ce qu'elle désirait le plus ardemment : lui), hormis celui de se montrer médiocre. Alors, Annick s'est tue. S'est dissipée joliment, baguenaudant entre les pages de différents journaux et offrant le plus beau et sensible des livres jamais écrits sur Sagan, Bernard Frank et la bande (Un amour de Sagan, Fayard-Pauvert, 2007). Aujourd'hui, elle est de retour avec ce Pour lui, qui est donc aussi un "malgré lui", avec Paris et ses Grands Boulevards, et les heures heureuses où l'avenir promettait de durer. Ce livre-là, c'est Le Guépard en blue-jeans et Ray Ban, Gatsby, roi de Paris, raconté par un Nick Carraway amoureux.
Il était donc une fois l'histoire d'une Bretonne, ambitieuse par désoeuvrement et haine de l'ennui. En ce temps-là, les journaux avaient des airs de grande récré. Annick s'installe un destin à la rédaction de Mademoiselle âge tendre, puis, sous l'égide de "l'oncle Dan", s'en va traîner ses cuissardes chez Lui, devient la rédactrice en chef de l'édition française de Playboy et fonde Femme. Toute une histoire. La sienne, celle de la presse française, de ses flibustiers, ses servitudes et ses grandeurs, incarnées ici par la figure d'un homme qui n'aura de cesse, au prorata de sa construction méthodique que son empire ne se désincarne. Laissant dans Paris une cohorte "d'orphelins" égarés dont, avec ce livre douloureux, nocturne et luxuriant, Annick Geille se fait la plus précieuse des porte-parole.