Acuité du regard, finesse de l’exécution… Avec Zhang Leping, édité pour la première fois en France avec un recueil des principales aventures de son jeune héros, San Mao, réalisées avant la révolution chinoise de 1949, on découvre un auteur chinois célèbre dans son pays, mais complètement méconnu à l’étranger. Né en 1910 dans un village du Zhejiang, à une centaine de kilomètres au sud de Shanghai, dans un milieu cultivé - son père est enseignant, sa mère pratique la calligraphie, la peinture traditionnelle et la broderie - mais peu fortuné, il travaille d’abord dans la menuiserie et l’imprimerie avant de rejoindre une école d’art à Shanghai. Très rapidement pourtant, ses collaborations s’étendent à la publicité, à la mode, à l’édition et à la presse et, dès 1932, le magazine chinois Long live le classe parmi les "top chinese artists".
La création de San Mao, apparu pour la première fois le 28 juillet 1935 dans le Cartoon morning news, imposera le dessinateur décédé en 1992 comme l’une des figures saillantes de la bande dessinée chinoise (manhua) du XXe siècle. Et, à l’instar de Nicolas Finet, qui signe la passionnante introduction à San Mao, le petit vagabond, publié juste avant le Salon du livre de Paris dont Shanghai est la ville invitée d’honneur, on est frappé par la concomitance et les correspondances entre son travail et celui d’Hergé. Quand le créateur de Tintin met en scène le jeune orphelin Tchang dans Le Lotus bleu, qui paraît exactement à la même époque en Europe, Zhang Leping imagine lui aussi un petit orphelin dans les mêmes rues de Shanghai, où l’opulence côtoie l’extrême misère à l’époque des concessions occidentales et de l’occupation japonaise.
San Mao a une tête ronde, trois poils sur le caillou et une naïveté qui lui attire bien des déboires… Avec un trait d’une fluidité et d’une modernité remarquables, et des cases muettes qui facilitent leur compréhension par une population chinoise alors majoritairement analphabète, Zhang Leping déploie dans de petites histoires à rebondissement, où la famine est omniprésente, un humour acide porteur d’une puissante critique sociale.
Fabrice Piault
