20 août > Roman France

Lise Charles a reçu en 2013, à 25 ans, le prix de la Romancière pour La cattiva (P.O.L), un premier roman largement loué, qui mettait en scène dans un château à Ferrare les intermittences du cœur d’une indécise Marianne. Comme Ulysse est encore l’histoire d’une très jeune fille indéterminée, Lou (mais qu’elle épelle "L double O"), une Française hébergée dans une famille aisée du Massachusetts, avec pour mission de servir de modèle au père, artiste peintre, et de parler français à ses deux enfants. C’est le récit des aventures de Loo mises en mots par elle-même, dans un style direct proche du langage parlé où elle mélange le français et l’anglais, intercale des dessins un peu naïfs quand elle ne sait pas décrire. Parfois, elle donne des conseils au lecteur, qu’elle tutoie. "Excuse la parenthèse, ce genre de longueur, tu peux sauter."

Loo s’ennuie souvent. "J’avais l’impression d’avoir mille ans, j’étais un vieux dieu blasé qui avait déjà tout vu, tout entendu." Elle observe de haut la "famille de fous" qui l’a accueillie : le père, l’impassible Peter, indifférent à peu près à tout, la mère, la belle Rebecca, dont Loo trouve qu’elle ressemble à la marâtre de Blanche-Neige et qui a posé enfant pour l’illustrateur Norman Rockwell mort à Stockbridge, non loin de là. Rebecca qui voudrait être Virginia Woolf et se pique d’écrire, mais ne raconte ses contes, que Loo juge pervers, qu’à Tom et Hannah, ses deux enfants solitaires et éthérés.

Loo est une "bambina cattiva", une enfant méchante, elle aussi, à sa façon. Lolita faussement innocente, elle peut être une vraie garce parfois, féroce sous son masque d’ingénuité. Elle prétend beaucoup : qu’elle a 14 ans, que ses parents et sa sœur sont morts d’une maladie très particulière en Inde, qu’elle a perdu la notion du temps et des saisons, qu’elle n’a pas lu les livres dont elle peut pourtant citer certaines phrases par cœur et en VO… Dans un permanent jeu de correspondances entre le récit de sa vie américaine et les souvenirs d’enfance en Bretagne et à Paris, elle balance des références mine de rien : restes de cours d’allemand, pièce de théâtre jouée au collège, étymologies qu’elle affirme tenir d’une tante professeure de latin et de grec, commentaires rapportés d’une autre tante, psychanalyste, anecdotes sur ses parents, sur sa sœur Jeanne "une menteuse de première", sur sa chienne Ourga (qui était déjà, tiens, tiens !, le nom de la chienne de l’héroïne du premier roman)… 400 pages plus loin, le lecteur ne sait plus que croire : et si l’innocente Loo n’était qu’une charmante affabulatrice, qui confond le rêve et la réalité ? Une très maline conteuse de "salades" ? "Tu ne dois pas prendre tout ce que je dis au pied de la lettre", avait-elle averti. V. R.

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