Même s’il ne fut pas le tout premier Occidental parti explorer l’Est lointain (pour d’autres motifs, le franciscain Plan Carpin et le croisé Guillaume de Rubrouck l’avaient précédé jusqu’en Mongolie), Marco Polo (1254 ou 1255-1324) est le plus illustre de tous, d’abord à cause de son incroyable odyssée.
Issus d’une famille de commerçants vénitiens intrépides, Nicolo et son frère Maffeo Polo, père et oncle de Marco Polo, avaient déjà monté une expédition jusqu’en Chine, de 1262 à 1268, et en étaient revenus, outre moult trésors, chargés d’un message du grand Koubilai Khan pour le pape, le futur Grégoire X. Deux ans après, ils décident de repartir, emmenant cette fois avec eux le jeune Marco, 15 ans. On sait que leur fantastique aventure, couronnée de succès, dura pas moins de vingt-cinq années. Quatre ans (1271-1275) pour traverser l’Asie, seize à la cour de Koubilai, où ils remplirent quelques fonctions subalternes, un tantinet exagérées par ce fanfaron de Marco, puis quatre ans pour rentrer à Venise, en 1295, fabuleusement riches.
L’histoire, déjà extraordinaire, aurait pu s’arrêter là. Mais le destin a voulu que Marco participe, en 1298, à une guerre entre les Vénitiens et les Gênois. Qu’il soit fait prisonnier, transporté à Gênes, gardé captif durant trois ans. Alors que faire en prison, lorsqu’on est un homme d’action, sinon écrire ses souvenirs ? Ou plutôt les dicter à un sien compagnon de captivité, Rustichello de Pise, lequel est ainsi passé à la postérité. « Leur » livre, Le devisement du monde (appelé aussi Livre des merveilles) a été très vite un best-seller, du vivant même de Marco Polo, retourné enfin à Venise « plein d’usage et raison, vivre entre ses parents le reste de son âge ». Il a connu depuis d’innombrables éditions, traductions, pas toujours heureuses et fiables, puisque le texte princeps de la main de Rustichello est perdu, mais qu’il en existe 143 autres manuscrits. Plus des éditions imprimées dès la fin du XVe siècle.
Qu’est-ce qui fait la gloire inouïe de ce livre ? La personnalité de son auteur, sa faconde, son style direct et imagé, ses descriptions authentiques - ou vraisemblables lorsque, Marco Polo n’ayant pas vu lui-même ce qu’il raconte, il le reconnaît volontiers et cite d’autres sources. Le livre des merveilles fait rêver l’Occident depuis des siècles, et a suscité bien des vocations de voyageurs, écrivains ou non.
Marco Polo, lui (sans oublier son scribe), était un vrai écrivain. Son Devisement du monde méritait une édition intégrale en français moderne, accessible, qui se lise comme un véritable roman d’aventures. Mission accomplie par Louis Hambis, en 1955, à la Librairie Klincksieck. C’est cette édition qui reparaît aujourd’hui, chez le même éditeur.
Pour l’anecdote : à aucun moment Hambis ne signale que certains des contemporains de Marco Polo, suivis par quelques critiques grincheux, ont parfois mis en doute l’authenticité de toutes ses tribulations. Rien que des jaloux. Jean-Claude Perrier