Un personnage extrêmement sympathique, un grand escogriffe parisien pas du tout du tout à l'aise dans la montagne mais avec beaucoup d'enthousiasme et beaucoup d'humour ». On peut penser que l'impression qu'a eue le guide professionnel René Ghilini quand il a vu Richard Gaitet pour la première fois est plutôt juste. Que le montagnard a bien cerné son bonhomme, en acceptant de le conduire au sommet du mont Blanc, sur proposition, plutôt osée, des deux éditrices de la collection « Démarches » chez Paulsen, Marie-Christine Guérin et Fabienne Reichenbach. De son côté, le « blanc-bec à lunettes inexpérimenté », comme ironise le sous-titre de Tête en l'air, le livre que le novice a tiré de ce drôle de défi, se souvient que le guide lui a simplement demandé, avant un premier test de marche : « Est-ce que tu tiens debout ? » De fait, quand on rencontre ce garçon décontracté et urbain dans les nouveaux locaux parisiens encore en travaux de Radio Nova, son employeur depuis huit ans, on comprend mieux comment il a pu se prendre au jeu. Avec fougue et discipline.

Juke-box littéraire

Loin de Chamonix, Richard Gaitet qui a grandi dans l'Ain, anime quatre soirs par semaine l'émission « Nova Book Box », une heure de littérature et de musique, un « juke-box littéraire » très personnel à l'image du « Grand mix » qui fait la signature de la station. A l'antenne, lui qui a été pendant huit ans corédacteur en chef de l'ancien trimestriel de mode et de culture Standard et qui a publié trois romans, a « carte blanche absolue ». Il travaille tout seul avec un « petit génie du son », Sulivan Clabaut. C'est ce jeune réalisateur sonore qu'il a enrôlé en juillet 2018 avec neuf autres marcheurs dont des auditeurs et des copains écrivains, dans ce qu'il a baptisé « l'Opération Rimbaud Warriors », une randonnée en deux temps, de Charleville-Mézières à Charleroi, puis jusqu'à Douai via Bruxelles, le long de l'itinéraire présumé de la deuxième fugue d'Arthur Rimbaud en 1870, quand le poète avait à peine 16 ans. Le récit de cette « aventure rythmique, comique et podologique », écrit-il, tient autant d'une virée de pieds-nickelés dans les Ardennes que d'une balade documentée sur les traces de cet épisode inaugural de la vie de Rimbaud. La découverte des lettres d'Afrique de son cher poète lui a également inspiré une lecture musicale avec le sextet de jazz d'Arat Kilo. Créé en juillet 2018, le spectacle a été repris le 9 novembre dernier à la Maison de la poésie, la nuit de l'anniversaire de la mort de Rimbaud... et la date exacte de la naissance de Richard Gaitet, à 90 ans d'intervalle. Une « coïncidence astrale » qui lui plaît bien.

« Fervent lecteur », Richard Gaitet dit « avoir la chance d'être entouré par des gens qui ont le même problème » que lui-Julien Blanc-Gras et Guillaume Jan en sont-et avec qui il peut partager l'« esprit de non-sérieux » qui manque un peu, trouve-t-il, dans la République des Lettres. C'est ainsi qu'il a imaginé avec certains de ces amis « lecteurs agités », entre autres prix littéraires loufoques, le prix de la Page 111, qui distingue la meilleure page 111 de la rentrée francophone. Sept prix ont déjà été remis, après sélections à l'aveugle et délibération finale en direct, sur Nova bien sûr. Sophie Divry en est la dernière lauréate. Pourquoi 111 ? « Pourquoi pas », est-il écrit page 111 d'une édition de poche deRhinocérosde Ionesco. C'est une bonne raison, absurde à souhait. Et devinez quel est, comme par hasard, le nombre de kilomètres entre Charleville et Charleroi ?