Dans une série intitulée « Les Grands Editeurs », Le Figaro a rencontré chaque samedi un patron de maison : Denis Jeambar (Le Seuil), Antoine Gallimard, Teresa Cremisi (Flammarion), Olivier Nora (Grasset), Claude Durand (Fayard), Francis Esménard (Albin Michel) et Jean-Marc Roberts (Stock).
Au Seuil , les difficultés semblent passées, Denis Jeambar, à sa tête depuis un an, veut unifier et innover, tout en restant dans la tradition particulière de la maison. « J'espère avoir ramené une certaine sérénité à l'intérieur du Seuil. Je me sens comme un rassembleur, un fédérateur (…) Aujourd'hui, je pense que Le Seuil est revenu sur ses rails. » Si certaines nouvelles collections (policier, enfance) sont en plein essor et connaissent des succès immédiats, il souhaite que Le Seuil demeure ce qu’il est devenu patiemment au fil du temps. « Le poids de l'histoire de la maison a façonné une identité intellectuelle forte (…) Le Seuil s'est imposé comme l'éditeur de référence pour les sciences humaines »
Antoine Gallimard pense que les qualités d’un bon éditeur sont les mêmes aujourd’hui qu’à l’époque où son grand-père a fondé la maison Gallimard en 1911. Ce qui a changé la donne, c’est l’attitude des lecteurs et l’américanisation du marché : la concentration a créé d’énormes groupes qui se focalisent sur les best-sellers au détriment de la littérature. « La « best-sellerisation » à l'américaine a bouleversé notre métier. » Gallimard entend rester indépendant et maintenir des collections prestigieuses telles que La Pléiade bien que « l’esprit de collection » disparaisse chez les lecteurs. « Je n'ai pas d'interdits. Je veux perpétuer une exigence éditoriale sans que cela m'empêche de concilier entreprise et littérature »
Si elle est aussi inquiète à propos les évolutions actuelles, Teresa Cremisi, PDG du groupe Flammarion , se montre néanmoins très optimiste : sa confiance dans le monde de la littérature française est restée entière. « Je n'ai pas une goutte de sang français, mais je crois à la richesse de la littérature de ce pays. » La France demeure un pays particulier qui échappe encore au règne du best-seller et qui donne un statut unique à l’écrivain. Transfuge de Gallimard, à la tête de Flammarion depuis 2005, Teresa Cremesi pense que chaque maison a une âme spécifique. « Les gènes de Flammarion sont du côté du savoir. C'est-à-dire du côté des sciences, des sciences humaines et de l'histoire, notamment. »
D’après Olivier Nora, actuel patron des Editions Grasset , s’il y a toujours eu des fortes personnalités à la tête de la maison, elle demeure aux mains des écrivains eux-mêmes. « Notre devoir quotidien, c'est de faire en sorte que nos auteurs soient lus par le maximum de lecteurs (…) c'est ici la maison des auteurs et nous sommes à leur service » Ce qui fait la culture spécifique de la maison, d’après lui, c’est le dialogue littéraire passionné, l’échange intellectuel, le soin apporté à la lecture des manuscrits. « Cet écosystème de folie douce est notre tour de magie le plus indescriptible, le moins reproductible... et le plus jalousé. »
Passionné par l’univers du livre depuis sa jeunesse, Claude Durand a choisi de renforcer les domaines où Fayard avait des points forts : en histoire et en musicologie par exemple. Il refuse de « faire la fine bouche » devant les manuscrits populaires qu’il reçoit. Cela se traduit par des publications extrêmement diversifiées qui entraînent souvent des polémiques. « En arrivant chez Fayard (…) j'ai apporté ce que j'avais appris en militant, tout jeune, auprès de Pierre Mendès France et à la Ligue des droits de l'homme, puis en travaillant au Seuil, qui était plutôt considéré à l'époque comme une maison de gauche.
Francis Esménard rappelle que la maison qu’il dirige, Albin Michel, est une maison sans tache : c’est l’une des rares à ne pas avoir été blâmé pour son comportement pendant l’Occupation. En arrivant à la tête de la maison, il y a juste quarante ans, Francis Esménard a voulu la tirer de son image « vieillotte » en publiant des livres de fiction sulfureux et provocateurs. Il rappelle auss que l’année dernière, Livres Hebdo a classé Albin Michel numéro un des éditeurs en ce qui concerne la fiction. Francis Esménard est également inquiet des évolutions actuelles, notamment du « côté moutonnier » des lecteurs se fournissant dans les grandes surfaces. « Le métier n’a plus rien à voir avec celui que j’ai connu il y a trente ans. »
Stock repose sur deux piliers depuis toujours, d’après son directeur, Jean-Marc Roberts : la littérature étrangère (avec la collection « Cosmopolite ») et les débats de société (c’est l’éditeur du J’accuse de Zola). Le travail de l’éditeur a donc été d’imposer un véritable catalogue d’auteurs français. Toutefois il ne veut pas travailler avec tout le monde : « j’aime infiniment le travail de Michel Houellebecq, mais je ne pourrais l’accueillir chez Stock ». D’après Jean-Marc Roberts, l’éditeur est aussi un entrepreneur car « une maison d’édition ne peut pas vivre sans un succès plus de deux ans ». L’éditeur doit savoir « parler argent ».
Série Les Grands editeurs dans le Figaro