L'ascension d'Hitler dans l'Allemagne de Weimar, la montée de la terreur nazie, la guerre et l'extermination des Juifs vues par une famille allemande. C'est le propos de ce livre poignant de Giles Milton, qui utilise la forme du roman pour le récit et les outils de l'historien pour la véracité des faits. Il en résulte un ouvrage fort qui a le grand mérite de changer d'angle sur la Seconde Guerre mondiale tout en n'en masquant pas les monstruosités.
Il faut dire que Giles Milton a le chic pour trouver des sujets originaux. On lui doit, par exemple, une fameuse Guerre de la noix muscade (Noir sur blanc, 2000). Cette fois, l'historien britannique spécialiste des voyages et des explorations n'a pas eu à chercher bien loin l'inspiration. Son beau-père lui a fourni la matière d'un récit saisissant, nourri de quelque soixante heures d'entretiens.
Cet homme, c'est Wolfram Aïchele. Il a 9 ans lorsque Hitler accède au pouvoir, et 18 quand il est enrôlé pour servir sur le front russe, en Crimée. Le jeune artiste - il a suivi une formation de sculpteur - est happé par le froid, la misère et la barbarie nazie. En Biélorussie, il ignore l'existence des Einsatzgruppen, ces commandos d'extermination, mais il en constate les dégâts sur une terre dévastée.
Dans sa famille bourgeoise éclairée, on s'est toujours méfié des nazis. Mais, petit à petit, l'idéologie hitlérienne a tout contaminé. Giles Milton évoque fort bien comment la dictature s'installe dans cette ville de Pforzheim, aux abords de la Forêt-Noire, qui sera bombardée, comme Dresde, par l'aviation britannique. Résultat : 17 000 morts, essentiellement des civils, pulvérisés par les bombes.
Wolfram sera sauvé par la diphtérie, qui lui évite de mourir à Stalingrad et lui vaut un rapatriement en Allemagne puis une mutation en Normandie, où il assiste avec son 1 021e régiment de grenadiers au débarquement. Après avoir été accueilli et nourri par un paysan du Cotentin, il se rend aux Américains, qui l'envoient comme prisonnier dans un camp de l'Oklahoma où il est censé ramasser soixante-dix kilos de coton par jour.
Giles Milton possède un sens très précis de la narration qui ne le fait jamais verser dans le sensationnalisme. L'historien est toujours présent pour replacer, préciser, compléter.
Dans cette barbarie qui se répand comme la gangrène, Milton fait la part des choses. Il montre les comportements des soldats français à la recherche de vengeance, des Américains qui pensent déjà à l'après-guerre et des Allemands qui ne veulent pas croire que leur pays a pu commettre autant d'atrocités. Wolfram, l'ancien rêveur, vit toujours à Paris, où il est installé depuis les années 1960. Et, à 86 ans, il peint encore tous les jours...