C'est une curieuse histoire de faux, de manuscrit trafiqué et de légende colportée. On y trouve même un fameux poète français né à Cuba, José Maria de Heredia, celui du "Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal", qui traduisit le texte pour évoquer "l'azur phosphorescent de la mer des Tropiques".
L'histoire véridique de la conquête de la Nouvelle-Espagne est une chronique détaillée de la conquête du Mexique par Hernán Cortés. L'ouvrage, publié à Madrid en 1632, s'est imposé dans la littérature espagnole au rang du Don Quichotte de Cervantès. On y explique comment Cortés, parti de Cuba en 1519 "avec 540 soldats, 16 chevaux, 14 bombardes et 13 escopettes" s'est rendu en deux ans maître du vaste territoire des Aztèques qui comptait 18 millions d'habitants.
Qui a donc écrit ce chef-d'oeuvre ? Un nommé Bernal Diaz del Castillo. Christian Duverger n'y croit guère, même si on répète cela depuis des siècles. Pour le prouver, ce grand spécialiste du monde méso-américain, directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales et auteur d'un classique sur L'origine des Aztèques (Seuil, 1983), est parti à la recherche du manuscrit et de son auteur supposé.
Pour lui, trop d'éléments ne collent pas. Bernal est fuyant comme une anguille. Il a fait de nombreux aménagements sur les lieux, les dates et sur sa propre vie. Comment peut-il fournir des pépites d'érudition alors qu'il se présente comme un rustre témoin ? Il fait aussi référence à des ouvrages qu'il n'a pu matériellement lire. Enfin, il possède une mémoire stupéfiante des faits, des noms et des événements sans jamais se perdre dans les détails.
Comment Bernal pouvait-il être aussi près de Cortés, aux moments les plus importants, sans avoir été plus connu, plus honoré ? Christian Duverger interroge, compare. Il nous fait partager toutes les étapes de son enquête avec une conclusion en forme de coup de tonnerre : "Bernal Diaz del Castillo, vétéran de la conquête coulant des jours paisibles dans sa retraite du Guatemala, n'est pas l'auteur de L'histoire véridique." Il ajoute que Bernal était analphabète !
Alors, qui a écrit cette Histoire véridique ? Un soldat, un survivant, intime de Cortes ? Et pourquoi pas le conquistador lui-même ? La deuxième partie examine cette piste. On voit ainsi comment le véritable auteur - dont nous ne dévoilerons pas le nom... - a conçu ce texte comme une bombe à retardement. Et Christian Duverger s'amuse lui aussi beaucoup à ce jeu où tout est vrai sauf un épilogue en forme de fiction, inspiré de La douane de mer de Jean d'Ormesson. Pour clore le tout, Duverger exhibe le visage du fameux Bernal, l'imposteur donc, tel qu'il s'affiche sur la couverture d'une biographie parue au Mexique en 1998. C'est celui d'Henri IV !