Comment les libraires peuvent continuer à jouer leur rôle de prescripteurs face à la concurrence du commerce en ligne ? C'est la question du rapport de l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) établi par François Hurard et Serge Kancel, inspecteurs généraux des affaires culturelles. Parue en juillet, l'étude "Les libraires et disquaires au défi de la vente à distance" fait un état des lieux et dresse une liste de 12 recommandations pour le développement de l'e-commerce.
Il est couramment estimé que 1500 libraires sur 3500 sont équipées de sites internet leur permettant d’offrir un service de vente à distance ou adhérents à un portail de libraires. En parallèle, la constante hausse ces dernières années de la vente en ligne n’a pas eu pour conséquence de réduire la part des achats en librairie.
Modernisation et aides de l'Etat
Pour développer le commerce en ligne, le rapport recommande d’intensifier les aides à la modernisation, en assouplissant les critères d’accès à celles-ci. C’est notamment dans le cadre des conventions conclues entre l’Etat, les régions et le Centre national du livre que ces aides pourraient être développées, sans excéder 2 M€ par an.
Les équipements informatiques devraient être soumis à une labellisation des outils logiciels qu’ils mettent à disposition des libraires, notamment en vue de garantir leur interopérabilité et leur adaptabilité. Cela dans le cadre des exigences posées par la directive européenne du 17 avril 2019, dite "Acte européen d’accessibilité". Des aides à l’emploi pourraient également être mises en place pour soutenir la charge de travail supplémentaire qu'implique la vente en ligne. La formation des librairies devraient enfin prendre en compte cette évolution de la profession.
Soutiens indirects
Pour réguler l'économie du livre, la mission estime nécessaire la mise à jour de la loi Lang pour renforcer l’encadrement de la vente à distance en fixant un tarif minimum des frais de livraison. Là encore, les pouvoirs publics pourraient intervenir sur les coûts d’expédition des livres pour les libraires à travers une compensation partielle par l’Etat du coût d’expédition ou l’ouverture d’une négociation entre les libraires et le Groupe La Poste, sous l’égide des pouvoirs publics, sur un tarif préférentiel qui pourrait être consenti pour l’expédition des livres. Emmanuel Macron a lui même plaidé pour une telle mesure au printemps dernier.
Pour les zones géographiques où l'accès à une librairie est limité, le rapport propose le lancement d'un programme de soutien à l'installation de magasins offrant une gamme diversifiée, même si elle est nécessairement limitée, de biens culturels (livres, disques, vidéos notamment) en même temps qu'ils seraient les partenaires, comme points-relais privilégiés, des ventes à distance des libraires et disquaires de référence du département.
Les 12 recommandations du rapport pour le développement de la vente en ligne :
- Constituer une base de données sur l’équipement des libraires, permettant d’apprécier leur niveau d’équipement informatique et leur appartenance à des plateformes, à partir des données des dossiers d’aide à la modernisation, des données de l’observatoire de la librairie et en sollicitant les données des équipementiers informatiques.
- Cofinancer (ministère de la Culture/Syndicat de la librairie française) une campagne de communication qui devrait, entre autres, aborder le thème « mon librairie m’accueille en magasin et aussi sur internet » ou les principes de la Loi Lang. Cette campagne pourrait aussi promouvoir les plateformes, tant nationales que régionales, fédérant les libraires indépendants.
- Prévoir dans le cadre du plan de relance un programme d’aide à la modernisation des librairies ayant pour double objectif : l’équipement informatique et logistique aidées dans le cadre des conventions Etat/CNL/régions, au niveau territorial, ainsi que la réponse aux besoins croissants des librairies de taille plus importantes, déjà équipées (Label LIR). Les aides doivent pouvoir financer selon les cas, jusqu’à 70 % du montant des projets. Budget à prévoir : 2 M€/an sur deux années (en complément de la dotation budgétaire annuelle des aides à la modernisation).
- Prévoir une labellisation et un agrément des logiciels de gestion de stock pour assurer leur interopérabilité et leur compatibilité avec d’autres logiciels. Les outils informatiques non labellisés ne pourraient plus, à terme, être éligibles aux subventions de l’Etat et des collectivités territoriales dans le cadre des contrats de filière.
- Mettre en place un groupe de travail associant des représentants des libraires et les équipementiers informatiques dans le but de tirer les leçons de l’expérience de la vente à distance durant la crise sanitaire et permettre l’amélioration des outils informatiques en fonction des nouveaux besoins exprimés par les libraires. L’objectif de ce groupe de travail serait de définir un cahier des charges pour optimiser les outils de vente à distance mis à disposition des libraires. Un programme de soutien aux prestataires (aides à l’investissement) pourra, par la suite, être envisagé.
- Expérimenter en région, des aides à l’emploi pour les librairies ayant un besoin ponctuel ou temporaire de main d’œuvre sur l’animation d’un site internet ou l’organisation et la gestion du "cliqué-retiré" (click & collect), sur le modèle de ce qui a été entrepris en faveur des cinémas d’art et essai dans les conventions Etat-CNC- Régions pour les emplois de médiateur. Ces mesures pourraient prendre place dans le cadre des contrats de filière Etat-CNL-Régions.
- Inciter à la mise en place et cofinancer (notamment dans le cadre des conventions Etat-CNL–Régions) de nouvelles formations continues adaptées aux exigences de la vente en ligne pour les libraires : animation et éditorialisation des sites internet, marketing en ligne, maitrise des outils techniques de vente à distance, questions de logistique et de stockage, service en ligne à la clientèle, etc. Les conseillers livre des DRAC et des services des conseils régionaux pourraient également être bénéficiaires de ces formations. La formation initiale des libraires (Ecole de la librairie, IUT d’Aix en Provence) devrait également être mise à jour pour mieux intégrer la dimension du commerce en ligne.
- Poursuivre et étendre les contrats de filière Etat/CNL/Régions, en y incluant l’objectif de développer des plateformes régionales de vente à distance pour les libraires sur le modèle de celles existant déjà dans plusieurs régions.
- Encourager le développement et le perfectionnement du site agrégateur librairiesindependantes.com afin d’en améliorer l'ergonomie, notamment de navigation, et l'attrait, y compris en y intégrant des propositions éditoriales, voire en réfléchissant à l’évolution de son appellation.
- Lancer un appel à projets (ministère de la Culture) sur la collecte de données permettant la traçabilité des ventes de livres en librairie (« booktracking ») qui permettrait à la fois de garantir la transparence due aux auteurs sur les ventes, d’améliorer les conditions de la distribution (précommandes, offices, retours) des livres et donc le service rendu à la clientèle, et d’envisager le regroupement des différentes bases de données de référencement des livres.
- Poursuivre la compensation, éventuellement partielle, par l’Etat du coût d’expédition des livres ou accompagner (ministère de la Culture et ministère de l’Economie, des Finances et de la Relance) les libraires indépendants dans une démarche de négociation collective avec La Poste, en vue de fixer un tarif préférentiel des envois postaux de livres sur la base d’un volume garanti d’envois annuels.