Moins acheter ne veut pas dire vendre moins. C'est l'une des conclusions éclairantes tirées par l'Association pour l'écologie du livre dans son retour sur la « trêve des nouveautés ». Conduite entre janvier et juin 2024, cette recherche-action visait à « créer une respiration forte pour les librairies participantes, grâce à la mise à l’arrêt partielle ou totale des achats d’office ». Ce faisant, l'association entendait ouvrir un espace de réflexion collective sur la dépendance de la librairie indépendante aux flux de nouveautés.
Déplacements d'achats et de chiffre d'affaires
Pour ce coup d'essai, une vingtaine de librairies, en France et en Belgique, ont ainsi répondu à l'appel, sous des modalités diverses (trêve intégrale, trêve du superflu, trêve mois pairs/impairs…). Parmi leurs inquiétudes initiales, celle de perdre du chiffre d'affaires semble balayée par les résultats de l'expérience, présentés le 9 décembre par l'Association pour l'écologie du livre. Au global, les ventes au comptant de la cohorte « trêve » ont en effet augmenté de 1,7 % sur la période de janvier à juillet 2024 par rapport à l’année précédente, contre +0,1 % pour l'ensemble des librairies de France et de Belgique (chiffres issus de l’Observatoire de la librairie du SLF).
Par ailleurs, si les librairies participantes ont réduit de 16,9 % leurs achats d'office sur la période (contre -3,5 % au niveau national), les achats d’autres nouveautés ont augmenté de 7,8 % et les achats du fonds de 4,9 %. Le chiffre d'affaires sur les nouveautés « fraîches » (de 0 à 3 mois) a baissé, quand celui des nouveautés de plus de 3 mois et du fonds a augmenté, les pauses sur les offices permettant de consacrer plus de temps et d'espace sur les tables à ces deux catégories.
Échanges parfois « rugueux » avec la diffusion
Du côté des réactions, « ces trêves sont passées très inaperçues auprès de la clientèle », commente Mathilde Charrier, libraire et coordinatrice de l'Association pour l'écologie du livre.
Si une partie importante, voire majoritaire, des représentants a bien accueilli l’opération, des tensions fortes sont apparues avec certains d'entre eux. « Les relations se sont dégradées avec certains représentants au point qu'ils ne viennent plus, mais c'est une conséquence de la trêve qui finalement nous soulage », a témoigné Olivier Verschueren du Livre aux Trésors (Liège, Belgique). Informées de la trêve, certaines directions commerciales ont parfois eu des réactions « rugueuses » vis-à-vis des librairies participantes, « posant à demi-mots des menaces sur les remises, ou n’envoyant pas d’invitation pour une réunion de rentrée littéraire », cite le rapport en exemple.
Nouvelle trêve en mars-avril 2025
Malgré les difficultés parfois rencontrées, « pour les librairies trêveuses, c'est compliqué de retourner à la normale », affirme Mathilde Charrier. Afin de continuer à tester collectivement cette autre manière de faire, l’Association pour l’écologie du livre appelle donc les libraires et tous ceux qui le désirent à expérimenter la trêve de mars à avril 2025. Elle espère un doublement au moins du nombre de participantes.
« Nous allons créer des espaces d'échange avec la diffusion et l'édition pour discuter de ce que soulève cette trêve », annonce aussi Anaïs Massola, libraire et présidente de l'Association pour l'écologie du livre, prenant soin de préciser que les enjeux de surproduction sont essentiellement dus « à des logiques de grands groupes éditoriaux et de grosses diffusions ». Un travail collectif est également prévu en interprofession « autour d’une idée de contrat commun, juste et équitable », qui pourrait lier les acteurs des mondes du livre.