avant-portrait: Doan Bui

Elle voulait que je fasse une grande école, Polytechnique ou l’Ena, que je devienne une éminente chirurgienne, une brillante avocate, voire présidente de la République. Ma mère, c’est la mère dans La promesse de l’aube de Romain Gary", confesse Doan Bui, encore amusée par la démesure des ambitions maternelles à son endroit. L’aînée d’une fratrie de cinq, Doan Bui n’a fait "que" HEC, qu’elle a détestée, et est devenue journaliste. Grand reporter à L’Obs, elle n’a sans doute pas oublié cette éthique de l’excellence inculquée par ses origines vietnamiennes : à la fois, exigence d’intégration par les études ("nous étions les seuls Asiatiques quand nous sommes arrivés au Mans au début des années 1970") et culture élitaire des concours héritée du confucianisme. En 2013, Doan Bui se voit attribuer le prestigieux prix Albert-Londres pour un reportage dédié aux migrants noyés de la rivière Evros sur la frontière gréco-turque.

Typique des "bananes" (Jaunes dehors et Blancs dedans), ces jeunes originaires d’Asie complètement acculturés à l’Occident, Doan n’a jamais parlé vietnamien. Sans doute ne s’est-elle jamais sentie autre chose que française avant que ne soit créé sous la présidence Sarkozy le ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration, avec ses débats remuant sournoisement la question des origines. Lui reviennent alors les doutes : "Pour nous intégrer, nous nous sommes désintégrés", car "c’était comme courir après une ombre, et l’identité française, ce merveilleux mirage, restait insaisissable."

 

La France métèque

En 2010, elle signe avec sa consœur Isabelle Monnin Ils sont devenus français : dans le secret des Archives (JC Lattès). Apollinaire, Chagall, Zola, Gainsbourg… c’est un éloge de la France métèque. Curieuse de lire l’acte de naturalisation de son propre père, l’enquêtrice tombe sur un rapport de police le concernant où est mentionnée une fille née d’une Française. Doan Bui ne peut le croire. Quoi ? Ce médecin si sérieux, si taciturne et désormais aphasique à cause d’un AVC avait eu une autre femme. Le silence paternel datait de bien plus longtemps que l’accident de santé. Après la parution d’un article sur le Viêt Nam dans la revue XXI, elle est contactée par Thomas, autre enfant caché de cette "seconde famille". C’est le choc. Doan a l’impression d’être dans le film The Truman show, "où tout est faux". Mais c’est là également que commence la réconciliation avec soi-même : son identité complexe, ses racines si longtemps tues… Et de se raconter enfin avec une belle justesse dans un premier récit personnel, Le silence de mon père. Sean J. Rose

Doan Bui, Le silence de mon père, L’Iconoclaste. 19 €, 250 p. ISBN : 979-10-95438-10-6. Sortie le 23 mars


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