26 septembre, 2 et 3 octobre > Livres d’art France

Félix Vallotton. Autoportrait, à l’âge de 20 ans (1885). Huile sur toile, 70 x 55,2 cm- Photo MUSÉE CANTONAL DES BEAUX-ARTS DE LAUSANNE/J.-C. DUCRET

Dans son roman Deux amants, Lucie Delarue-Mardrus dépeint ainsi son ami Félix Vallotton (1865-1925), après avoir insisté sur la précocité de sa vocation, de son talent, né à 12 ans avec une nature morte : « Il peignait avec un esprit philosophique. Il se savait ligoté par une scrupuleuse honnêteté, le goût de copier avec une maladive exactitude ce qu’il regardait. » D’où, sans doute, son goût pour la photographie, « documentaire » et préparatoire pour ses tableaux.

On ne saurait mieux définir cet artiste au génie prolifique et divers, qui était aussi écrivain. Il a signé trois romans très noirs, dont La vie meurtrière, posthume, qu’il faudrait peut-être relire dans la foulée. Trop longtemps sous-estimé, une monumentale rétrospective au Grand Palais (1) vient enfin lui donner une juste reconnaissance. Pas moins de 170 œuvres, gravures et tableaux, ordonnées non point chronologiquement, mais thématiquement, vers les directions majeures de son travail : les « Perspectives aplaties » de ses paysages, par exemple, minutieusement étudiés par Bruno Delarue dans Les paysages de l’émotion, un album centré sur ses voyages, les lieux où il a peint, à partir de 1899. C’est à ce moment crucial que Vallotton met de côté la xylographie, ses gravures parues dans la presse et qui avaient fait son succès, pour se recentrer sur la peinture, et qu’il épouse Gabrielle, la fille du très riche marchand d’art Bernheim. L’un des nombreux paradoxes de cet être complexe et torturé, de ce Suisse installé à Paris que le confort bourgeois n’a pas fait renoncer à ses convictions profondes, proches de l’anarchisme. Dreyfusard de la première heure, pacifiste mais patriote, il a montré les horreurs du premier conflit mondial dans « C’est la guerre ! », une série de gravures, ainsi que des tableaux réalisés « à chaud », saisissants, comme ce Verdun de 1917.

Pour nous aider à mieux appréhender l’homme et l’artiste, deux courts essais : celui de Maryline Desbiolles, Vallotton est inadmissible, très personnel et imbriqué avec l’œuvre de Proust. Vallotton n’a-t-il pas peint un magnifique « petit pan de mur jaune » dans La loge de théâtre (1909), reproduit pour l’affiche de l’exposition ? « Vallotton me cloue le bec », avoue-t-elle. Quant au psychanalyste J.-D. Nasio, il tente d’explorer L’inconscient de Vallotton, et notamment cette mystérieuse violence contenue qui sous-tend chacun de ses tableaux, même les natures mortes et les paysages.

Enfin, pour faciliter l’approche de l’œuvre et visiter aisément l’exposition, on peut avoir en main le petit Félix Vallotton d’Isabelle Cahn, sa co-commissaire, pédagogique et synthétique. On regrettera seulement le trop peu de place qu’elle y accorde aux portraits, genre où Vallotton se révèle comme l’un des plus grands maîtres de toute la peinture occidentale.

J.-C. P.

(1) Exposition « Félix Vallotton, Le feu sous la glace », au Grand Palais, du 2 octobre au 20 janvier 2014, catalogue édité par la RMN-Grand Palais et le Musée d’Orsay.

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