Open access

L'information scientifique doit-elle être ouverte ?

Tableau noir au Cern, le plus grand laboratoire de physique des particules du monde (Genève). - Photo DEMANGE FRANCIS/GAMMA

L'information scientifique doit-elle être ouverte ?

L’engagement de la France en faveur d’un libre accès à l’information scientifique enflamme les débats entre éditeurs et bibliothécaires. Pour tous, l’évolution vers l’« open access » est incontournable mais les avis divergent fortement sur les moyens d’y parvenir.

 

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Par Véronique Heurtematte
Créé le 11.10.2013 à 19h48 ,
Mis à jour le 09.04.2014 à 17h41

« Nous appelons à l’ouverture rapide d’une véritable concertation sur les enjeux de l’open access en sciences humaines et sociales… » : c’est ce vendredi 15 mars que la lettre ouverte (voir p. 16) mise en ligne le 20 février et signée par une cinquantaine d’éditeurs en sciences humaines devrait être envoyée à ses destinataires, à commencer par la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Geneviève Fioraso. Les 24 et 25 janvier derniers, lors des journées du consortium Couperin, cette dernière annonçait le programme d’action prévu par la France en faveur du développement de la libre mise à disposition de tous des articles scientifiques issus de recherches financées par des fonds publics. Ce programme constitue la déclinaison nationale de la recommandation publiée par la Commission européenne en juillet 2012 qui a fixé à ses Etats membres des objectifs ambitieux : 60 % des publications de la recherche financée sur des fonds publics accessibles librement en 2016, 100 % d’ici à 2020. « L’information scientifique est un bien commun, qui doit être disponible pour tous. Affirmer ce principe essentiel pose un cadre, mais ne résout pas les difficultés de mise en œuvre pratique. La viabilité du système suppose le déploiement de modèles économiques équilibrés », a déclaré en préambule la ministre, pointant d’emblée toute la complexité du processus.

 

 

Embargo trop long ou trop court.

Car pour l’instant, le moins qu’on puisse dire, c’est que les avis divergent fortement entre éditeurs et bibliothécaires sur ce que devraient être ces « modèles équilibrés ». La durée d’embargo pendant laquelle un article déposé n’est pas consultable librement, préconisée par la Commission européenne (six mois pour les sciences dures, douze mois pour les sciences sociales), constitue le cœur du problème. Trop longue, selon les défenseurs les plus exigeants de l’open access, car dans les sciences exactes, il est fondamental de pouvoir accéder immédiatement aux plus récentes avancées de la recherche. Beaucoup trop courte, se désespèrent les éditeurs, en particulier ceux de SHS, qui y voient leur condamnation à mort à brève échéance. «Les archives ouvertes sont un coup de poignard dans le dos, a alerté François Gèze, P-DG de La Découverte, lors de la rencontre organisée le 11 février à Paris par Cairn, la plateforme de diffusion de revues en sciences humaines. Sans les revenus des abonnements numériques, nous ne pourrons pas survivre. »
La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

Mais pour les bibliothèques universitaires aussi, il s’agit d’une question de survie. Les abonnements aux revues scientifiques en ligne publiées par les grands groupes comme Reed Elsevier ou Springer, dont certains atteignent jusqu’à 20 000 dollars par an, assèchent les budgets et étranglent les établissements. D’où le vent de révolte qui souffle depuis plusieurs années parmi les chercheurs et les bibliothécaires contre quelques grands groupes éditoriaux en position de monopole sur le secteur. « Certains éditeurs ont profité du numérique pour renforcer leur position, créant une situation inéquitable pour les chercheurs », a dénoncé lors des journées Couperin le représentant de la conférence des grandes écoles, M’Hamed Drissi. Seule certitude partagée : l’open access constitue une évolution irréversible dans la diffusion de l’information scientifique. Reste à savoir comment y parvenir, en préservant les intérêts de chacun.

Si deux voies principales de constitution d’archives ouvertes coexistent aujourd’hui, une troisième voie commence à rallier des suffrages.

 

 

1. La voie verte.

La voie « verte », comme l’ont baptisée les chercheurs, est la plus répandue. Il s’agit du dépôt par les chercheurs eux-mêmes, sous réserve d’obtenir l’accord de leur éditeur, de leurs articles dans des réservoirs d’archives institutionnelles. En France, il s’agit par exemple d’Archimer, géré par l’Ifremer, ou de Hal, une plateforme gérée par le CNRS, généraliste et à vocation nationale. Le principe a le mérite d’être simple, mais il présente plusieurs inconvénients tels que la nécessité de convaincre les chercheurs de déposer leurs travaux, le besoin de régler la question des droits d’auteur, la validation du texte concerné ou la perte de la construction intellectuelle que représente une revue en tant qu’entité. Les éditeurs voient cette désintermédiation comme une négation de leur travail, avec pour conséquence rapide leur disparition.

 

 

 

2. La voie dorée.

L’autre solution, en plein développement actuellement, est la voie « dorée » : le modèle économique des revues ne repose plus sur les abonnements mais sur leur financement en amont. Le principal mode de financement est celui de « l’auteur-payeur » : le chercheur, ou plutôt son organisme de recherche, finance auprès de l’éditeur le coût de publication de l’article. Malgré certains avantages, comme une meilleure visibilité des publications, cette solution ne fait pas l’unanimité, notamment en raison des inégalités qu’elle pourrait faire naître entre les laboratoires pouvant assumer ces frais, et ceux moins bien nantis. Pour les plus grosses institutions, le coût global pèsera encore plus lourd que celui des abonnements aux bouquets de revues académiques des grands groupes d’édition internationaux.

 

 

 

3. La voie platinium.

Une troisième voie a fait son apparition depuis peu, la voie « platinium » : le financement de l’archive ouverte repose sur une alliance entre des investissements publics et la commercialisation de certains services. La plateforme OpenEdition fonctionne sur ce principe avec la coexistence d’articles en accès libre et de services payants (assumés par les bibliothèques), comme la possibilité de télécharger un article au format ePub. Plutôt attrayante, cette voie ne fait pas non plus l’unanimité, en particulier en raison de sa dépendance à l’égard des financements publics.

 

Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, qui vient de communiquer le calendrier de ses premières actions, compte jouer sur tous les tableaux. Un soutien à l’extension de la voie « verte » avec la signature le 2 avril, par la conférence des présidents d’université et les organismes de recherche, d’une convention pour le développement des archives ouvertes sur la plateforme nationale HAL. La voie « dorée » sera étudiée par un groupe de travail mis en place également au début d’avril dans le cadre de la Bibliothèque scientifique numérique, le programme national de pilotage de l’information scientifique et technique créé en 2008. Ce groupe devra notamment élaborer un modèle national de contrat de publication qui préserve les droits d’auteur. Quant à la voie « platinium », que la ministre compte clairement privilégier, elle sera soutenue grâce aux moyens financiers attribués à la plateforme OpenEdition et à Persée, réservoir d’archives de revues francophones de sciences humaines.

Concernant l’épineuse question des durées d’embargo, le ministère avance prudemment. Pour les sciences exactes, il se donne six mois avant de rendre sa décision, qui s’appuiera notamment sur le travail mené avec l’Agence nationale de la recherche, principal financeur public des projets. Pour les sciences sociales et humaines, le ministère va, avant de se prononcer, lancer une étude sur les coûts éditoriaux et sur l’impact des durées d’embargo selon les disciplines. Les résultats sont attendus pour la rentrée de 2013. <

Les éditeurs de SHS s’inquiètent et protestent

 

Refusant d’être assimilés aux grands groupes internationaux, les éditeurs de sciences humaines ont fait entendre leurs spécificités lors d’une rencontre organisée par Cairn le 11 février.

 

Je comprends les positions des partisans de l’open access et, dans une certaine mesure, je les partage. Mais nous assistons à une radicalisation néfaste des propos tenus par des responsables d’établissements et des responsables publics. » C’est en ces termes que Marc Minon, directeur de Cairn, la plateforme de diffusion de revues en sciences humaines et sociales, ouvrait le 11 février à Paris la journée de réflexion qu’il organisait sur les spécificités des sciences humaines.

 

 

En réaction.

Cette rencontre était aussi une réaction au colloque Couperin de janvier, au cours duquel quelques propos radicaux avaient profondément choqué les éditeurs, discrètement présents dans la salle. Jean-Claude Guédon, professeur à l’université du Québec, avait par exemple affirmé que la question du business model était un faux problème et suggéré que les droits d’auteur des chercheurs soient gérés par une instance nationale, tandis que Bernard Rentier, recteur de l’université de Liège, fustigeait « les appétits financiers de quelques requins de l’édition ». « Les bibliothécaires ont raison de dénoncer le racket mené par quelques grands éditeurs internationaux, a affirmé Philippe Minard, directeur de la Revue d’histoire moderne et contemporaine, lors de la rencontre Cairn. Mais nous ne devons pas en être les victimes collatérales. » Les intervenants ont tous tenu à souligner les différences entre les revues de sciences sociales et les revues de sciences dures, même s’il existe de nombreuses disparités selon les disciplines au sein même de ces dernières, comme l’a rappelé Jean-Marc Quilbé, directeur d’EDP Sciences. Ce dernier a exposé comment il convertissait progressivement ces revues selon la voie « dorée », estimant que le modèle de l’abonnement payant n’était plus adapté. Mais pour les éditeurs de revues de SHS, dont la plupart atteignent tout juste l’équilibre financier, cette solution paraissait difficile à tenir.

 

Différentes expériences, menées selon la voie verte, dorée ou platinium (voir l’article précédent), ont été débattues. Mais, tout comme au colloque Couperin, aucune solution privilégiée ne s’est dégagée des échanges pourtant riches de la journée. Pour Ghislaine Chartron, professeure à l’INTD et au Cnam, l’objectif des 100 % d’articles issus de la recherche financée sur fonds publics en archives ouvertes d’ici 2020 ne pourra pas être atteint sans qu’on ait recours à des mandats de dépôt obligatoire, le système expérimenté par les National Health Institutes aux Etats-Unis et qui va s’appliquer désormais à toutes les agences fédérales américaines, et à des accords avec les éditeurs accompagnés de compensations financières, modèle que s’apprête à appliquer la Grande-Bretagne à l’échelle nationale à partir d’avril prochain.

"La voie verte n’est pas un modèle économique"

 

Pour Stéphanie Van Duin, P-DG d’Elsevier France, l’augmentation des coûts d’abonnement aux revues est la conséquence directe de l’accroissement de la production scientifique.

 

“La durée d’embargo unique pour tous que prévoit l’Union européenne ne sera pas tenable. Les éditeurs doivent pouvoir bénéficier d’une certaine flexibilité pour pouvoir déterminer la période d’embargo titre par titre ?" Stéphanie Van Duin, Elsevier France- Photo OLIVIER DION


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