Interprofession est une idée relativement ancienne émergée dans le contexte de la concurrence des médias et particulièrement de la diffusion de la télévision au cours des années 1960. Par-delà leurs différences de positionnement dans la chaîne du livre et leurs éventuelles divergences d’intérêt (par exemple entre librairies et éditeurs), il s’agissait de chercher à réunir les acteurs ayant en commun le livre.
Un monde de « dispositifs »
Est-ce encore pertinent aujourd’hui ? Il semble bien que oui puisque des rencontres sont toujours organisées. Au fil de la recomposition des conseils Régionaux et des relations avec les DRAC et le CNL, se développent des dispositifs dédiés à une variété de sujets. La FILL (
Fédération Interrégionale du Livre et de la Lecture) a cherché à les recenser en les classant selon qu’ils s’adressent aux auteurs, aux éditeurs ou aux libraires. Elle identifie respectivement 58, 113 et 85 aides. A cela, il faudrait ajouter les dispositifs dédiés aux bibliothèques proposés par le CNL ou le Ministère de la Culture via les DRAC. Bien sûr le nombre élevé frappe l’observateur novice et on comprend que cela suppose une certaine technicité pour se retrouver dans cette abondance et pour savoir remplir les dossiers afférents. Peut-être que les institutions de l’interprofession servent à créer des dispositifs ou à aider à les remplir ?
L’oubli des lecteurs
Mais au-delà, la lecture de ces listes saisit par l’absence directe mais aussi projetée des lecteurs. Alors que les auteurs sont soutenus ainsi que les éditeurs et les libraires, les lecteurs ne figurent pas au cœur de l’univers interprofessionnel tel qu’il se construit. En réalité, ils sont présents dans les opérations nationales du type « Nuit de la lecture » ou invoqués dans les résidences d’auteur. Il n’en demeure pas moins que l’interprofession semble clairement déséquilibrée du côté du pôle de la création. Certes, il faut des auteurs pour que la population puisse lire des livres mais les lecteurs confèrent aussi une légitimité aux actions des collectivités et de l’Etat en matière de lecture. Les lecteurs sont aussi des citoyens incarnant une part de la volonté générale et ils peuvent légitimement se demander à quoi sont consacrés les budgets publics. Dès lors, il est étonnant que la réflexion sur l’évolution du rapport de nos contemporains à la lecture, sur la place de la lecture de livre dans leur existence et sur la reformulation en cours du rapport à l’écrit et aux institutions ne soit pas au cœur de l’interprofession. Elus, représentants de l’Etat et des institutions de la chaîne du livre peuvent réunir des professionnels une matinée sans aborder ces questions. Il se dégage un sentiment d’entre soi bien loin d’une politique orientée vers les lecteurs tels qu’ils sont et non tels que les institutions et leurs agents les fantasment. Le risque est donc de fabriquer insensiblement un monde parallèle en forme de forteresse dans lequel il fait bon être ensemble… loin des lecteurs réels.
Se tourner vers les bibliothèques en mutation ?
Cette tendance pourrait être contrecarrée. Les bibliothèques ont largement pris le virage du point de vue des publics. Là où, il y a une dizaine d’années, elles étaient encore souvent distantes et soutenaient une vision de la lecture tentée par la prescription, elles ont très largement renoncé à une telle vision. Les bibliothèques ne sont plus seulement des temples de la bonne lecture, elles sont désormais des lieux ouverts à la population dans sa diversité qu’il s’agit de faire vivre. Et les bibliothécaires partagent désormais largement ce point de vue. C’est sur cette connaissance et cette sensibilité aux publics que l’interprofession et les institutions qui la font vivre pourraient s’appuyer afin d’ancrer leur action sur le monde réel peuplé de lecteurs en germes.