Interview

Lionel Destremau (Lire en poche) : « Le concept du poche continue d'être porteur »

Lionel Destremau, organisateur de Lire en poche depuis 2012 - Photo Pascal Ito

Lionel Destremau (Lire en poche) : « Le concept du poche continue d'être porteur »

Organisateur du salon Lire en poche qui se tenait en Gironde du 6 au 8 octobre Lionel Destremau revient pour Livres Hebdo sur les enjeux actuels du marché du poche, ses succès commerciaux et ses tendances. 

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Par Marie Fouquet
Créé le 09.10.2023 à 19h25

Livres Hebdo : Les ventes de livres de poche sont en progression ces dernières années, et en particulier en 2022 ? Comment l'expliquez-vous ? 

Lionel Destremau : Le concept du poche continue d'être porteur et pertinent depuis sa création en 1953. En cela, ce n'est pas nouveau : il y a toujours eu un public qui, financièrement, ne s'y retrouve pas avec le grand format. Cela augmente à cause de l'inflation aujourd'hui, certes, mais ce public a toujours existé. Il ne fait que se développer en regard des circonstances. Après, il faut trouver un juste milieu entre le grand public populaire, c'est à dire le poche que l'on trouve diffusé très largement, et le poche dans ses multiples lettres de noblesse : les petites collections, plus ou moins pointues, littéraires, qui touchent un public plus spécifique, les genres plus difficiles d'accès, les essais, les ouvrages qui vont réunir les grands lecteurs, etc. C'est un équilibre à trouver entre tout cela.

 

Votre salon profite-t-il de ce succès, en termes de ventes comme de fréquentation ?

D'année en année, nous avons entre 12 et 20 % d’augmentation du chiffre d'affaires sur le salon. Aujourd'hui, nous sommes aux alentours de 165 000 euros de chiffre d'affaires global sur les onze librairies présentes sur le salon. Il y a certes la question du nombre de ventes, mais il y a un autre facteur : l'augmentation du prix des livres. Connaître le nombre de visiteurs reste délicat car ce ne sont pas des visiteurs uniques, certains viennent le matin, reviennent l'après-midi ou le lendemain. Chaque année, on observe néanmoins que la plupart des salles se remplissent très vite. Notamment quand il s'agit d'auteurs pas forcément très connus au moment de la programmation, et qui ont un certain succès quelques mois plus tard, au moment de la rentrée. Autre exemple, Djiama Amadou Amal a attiré beaucoup de monde l'an dernier. Cette année, on ne s'attendait pas forcément à ce que la salle soit pleine, et finalement cela a dépassé nos attentes ! On peut imaginer que ce ne sont pas les mêmes publics d'une année à l’autre, ou bien que le succès d'un livre suivant implique le retour des lecteurs et leur plaisir à retrouver certains auteurs.

 

Pourquoi est-ce important de conserver des journées professionnelles, qui font venir notamment les étudiants de l'IUT édition de Bordeaux ?

Je viens de l'éditions poche, ayant travaillé pendant 15 ans au Seuil et chez Points. C'est un métier que je connais bien et c'est un métier à part, qui manie à la fois les chiffres et les lettres. Si on n'a pas un peu connaissance du marketing, si on ne s'intéresse pas aux comptes d'exploitation prévisionnels, si on ne se penche pas un minimum sur les questions commerciales, c'est assez difficile de poursuivre dans ce secteur. C'est un métier d'enchères, il faut faire des offres et on est sur le fil en permanence. C'est donc un métier qui intègre une vision de toute la chaine de l'édition. L'éditeur de livre poche doit envisager la fabrication, le coût du livre, se projeter sur la vente, la diffusion, travailler avec le marketing… quand il pense un projet poche. On ne peut pas compter uniquement sur la qualité du texte, son intégration dans une ligne éditoriale. Il faut se demander comment on va amortir le rachat de droit, et comment on va défendre le titre… On travaille ainsi avec tous les autres services, ce qui reste assez méconnu des étudiants. La journée professionnelle permet ainsi d'aborder différents maillons de la chaine qui va faire vivre un livre de poche.

 

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Il y a ce nouveau phénomène depuis 10-15 ans, c'est celui de petites maisons qui lancent d'emblée leur collection poche…

Il y a eu beaucoup d'expériences de collection poche réalisées par des éditeurs intermédiaires, qui faisaient souvent, jusque-là, du semi-poche. Les grandes maisons arrivaient à se nourrir dans leur propre rang, et auprès des petites et des moyennes maisons, de titres issus de catalogues qu'elles n'avaient pas au sein de leur groupe. À partir du moment où les petites maisons ont commencé a avoir leur propre collection poche et n'ont plus laissé partir leurs droits, ça a généré plusieurs questions : un problème d'approvisionnement pour les grandes maisons qui sont obligées d'élargir leur spectre, de prendre de titres peut-être moins évidents, et de les défendre encore plus. Donc d'investir plus en termes de marketing, pour faire décoller ces titres, ce qui change une partie de la physionomie du marché. L'autre problématique concerne la mise en place, parce que le poche avait cette capacité à rester en rayonnage (les petits formats sont plus faciles à placer et à conserver). La multiplication contemporaine des publications pousse à faire aussi des choix plus drastiques dans les rayonnages, là où autrefois on faisait ses choix principalement sur les tables. L'une des problématique d’avenir, et que les grandes maisons vont devoir régler, c'est donc la gestion du fonds. Comment faire vire un fonds qui autrefois restait plus longtemps en magasins, et qu'on arrivait à renouveler avec de nouvelles couvertures, des rééditions, etc ? Aujourd'hui, les libraires n'ont plus la place. Le phénomène récent, c'est que, à Lire en poche, on avait les grandes maisons et quelques petites maisons intermédiaires qui demandaient à être représentées. Aujourd'hui, presque toutes les petites collections tapent à la porte. Elles aussi ont besoin de visibilité car la concurrence est énorme sur les tables. Mon problème en tant qu'organisateur de salon, c'est que mes tables, elles non plus, ne sont pas extensibles à l'infini. Donc, je ne peux pas accueillir toutes les marques poche, il y en a trop, cela contraint à alterner certaines représentations de maisons. Ou bien cela pousserait à augmenter le nombre d'auteurs présents, mais c'est contre ma politique, car je veux conserver une qualité d'accueil des auteurs.

 

Quelles sont pour vous les difficultés de faire du poche sur les segments jeunesse et Young Adult ?

Le problème avec le Young Adult aujourd'hui, c'est la rapidité. Selon les modes ou les capacités du public a changer et se passionner soudain pour un genre, les éditeurs ont parfois du mal à suivre, car les goûts de ce public peuvent surgir assez soudainement. Comment un éditeur peut-il s'adapter à ce rythme ? Soit on a de la veine, car on était déjà plus ou moins dans le registre en question (par exemple, disons la Fantasy romance en ce moment) et que l'on continue et augmente la production, soit on essaye de prendre le train en marche avec un risque éditorial, à savoir que ce ne soit qu'un phénomène de mode plus ou moins ponctuel. L'investissement a alors été énorme pour une rentabilité discutable. La littérature jeunesse sur le Young Adult est toujours en train de courir, et elle n'a pas fini de courir. Il reste difficile de trouver le moyen de s'adapter à ces orientations. En littérature pour les plus petits, des 0 à 12 ans, il y a moins cette problématique. On le voit dans les rencontres scolaires, les maternelles et les élémentaires sont de grands lecteurs, ils adorent les histoires et les livres. On n'a moins à aller les chercher, le public est captif et va répondre à une nouveauté, un nouveau personnage, un nouveau dessin. Sur l'illustré, qu'on a du mal à défendre en poche (l'album et le GF étant les plus représentés), on retrouve quand même quelques petits formats ou des formats plutôt hybrides, carrés, ou cartonnés. Ce n'est plus tout à fait du poche comme le font les collections « adultes »… et ça n'en sera jamais vraiment, mais ce sont des albums adaptés a des formats intermédiaires.

 

On observe aussi un développement du poche en BD récemment... 

Oui et non. Ce n'est pas récent, car dans les années 1990, J'ai lu le faisait déjà : des collections poche en BD en noir et blanc, notamment des classiques adaptés en poche (Franquin, Manara, etc). Ça a duré un temps, ça s'est arrêté, et ça revient. Mais toutes les BD ne sont pas adaptables dans ces formats. Folio BD aurait du mal a passer certaines BD sur un format semi-poche par exemple. Dans certains cas, les cases d'origine sont réadaptables, mais certaines sont impossibles à réadapter. Le manga prend la plus grande place sur ce segment BD en poche. Et difficile de le concurrencer ! Le manga est un secteur porteur et les auteurs de mangas français et européens se développent. Il n'y a plus seulement des japonais ou des coréens. Les maisons d'édition spécialisées commencent à ouvrir la porte à ces auteurs-là (une jeune génération) et plus seulement du rachat de droit asiatique comme autrefois. Et puis il y a le développement des webtoons, qui a permis a certains mangakas d'en vivre, alors que jusque-là, créer un manga et réussir à en vivre était plus que difficile.

 

Enfin, qu'est-ce que cela engage, plus personnellement, de conduire un Salon dédié au poche ?

Je suis parti d'un principe simple quand je suis arrivé à la direction du salon : ne pas construire une programmation sur ce qui peut m'intéresser moi, ou avec une idée précise de ce que serait la littérature avec un grand L, et que j'imposerais à un public. Ce n'est pas à nous de dire ce qui fait littérature ou non, le temps se chargera de conserver les textes essentiels. Par contre, je peux dire ce qu'est le livre de poche, ce que sont les collections. Or ce sont à la fois des bestsellers, des auteurs intermédiaires, et des jeunes auteurs ou débutants. Il faut toute cette chaine pour représenter le poche tel qu'il est et vit. Pour construire une édition de ce Salon, il s'agit de se demander quelles rencontres on peut créer. L'achat « coup de cœur » suite à un débat ou l'achat d'impulsion sur le poche, tout le monde peut encore le faire ici. Sur le grand format, c'est parfois moins évident plus pour des raisons financières. 60 % des gens, en arrivant à Lire en poche, viennent pour un auteur, et repartent aussi avec une autre signature. Le but est bien là : ouvrir la fenêtre vers d'autres littératures, et d'autres types d'écriture aussi, des découvertes.

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