« Avant, les gens étaient humbles devant la littérature, mais maintenant, à cause du livre de poche, ils se permettent de la prendre de haut. » Ce plaidoyer pour une « aristocratie des lecteurs », dispensé par un étudiant en médecine en 1964 et dépoussiéré par l’INA, est devenu viral. Près de soixante ans après ces propos, qui se risquerait à affirmer la même chose ?
Le 9 février, le Livre de poche, qui revendique le lancement du format en France (voir encadré), fête son soixante-dixième anniversaire. Cette même semaine, le format représente près de la moitié du Top 20 des meilleures ventes GFK/Livres Hebdo. Pour les maisons d’édition cherchant à raviver leur fonds d’auteurs, mais aussi pour celles recherchant un terreau fertile d’expérimentations, il est plus que jamais une valeur sûre. Asphalte éditions, XXI, 10/18, Dunod... : tous se sont lancés récemment dans l'aventure.
Un aller-simple vers une lecture facilitée
Les éditions Asphalte, après 12 ans d'existence ont inauguré en janvier une première collection poche, composée de titres emblématiques du catalogue - entre quatre et six cette année. « La rentrée de janvier est toujours un peu compliquée pour faire lire les libraires », explique Estelle Durand, cofondatrice d’Asphalte. « Les rééditions nous permettent de leur remettre entre les mains des textes qu’ils ont adorés et défendus à leur sortie. » Et en conséquence, de conjurer le risque de voir ses nouveautés se noyer dans la masse, ou pâtir de la frilosité du lectorat. « Certains lecteurs, comme les étudiants, ne vont peut-être pas acheter le grand format d'un auteur qu'ils ne connaissent pas en raison du prix. Or, le coût d'un poche divise ce prix par deux. »
Chez Dunod, l'accessibilité doit se trouver tant au niveau du prix que du contenu. Dans une première collection poche annoncée pour avril 2023, les livres de science & nature côtoient le développement personnel et les sciences humaines, piochées dans le catalogue de la maison. D’après François Bachelot, directeur général, cette initiative s’inscrit dans la continuité de la mission pédagogique de Dunod, en proposant un « ticket pour le savoir ». L’expression fait écho au design des ouvrages, barrés d’un ticket blanc annonçant titres et auteurs. En septembre, Dunod poche publiera par exemple la première version du Discours de la méthode de Descartes en français moderne.
Les grandes dates du Livre de poche
Un terreau fertile pour expérimenter
Chez d'autres éditeurs, le poche autorise aussi une hybridation entre différents types de formats. Par exemple : l'essai chez Gallimard, avec la collection Tracts où auteurs et penseurs débattent de thématiques sociétales contemporaines, ou le journalisme pour XXI et 10/18.
Cette dernière collabore avec le magazine Society pour produire une collection de poche de True Crime, sous-genre journalistique dont le fait divers est un fond de commerce. Son principe est simple : esquisser une cartographie des Etats-Unis état par état à travers ses grandes affaires criminelles, investiguées par des journalistes. Chez XXI, revue qui s’est récemment lancée dans l’édition, l’influence est autre. Le format de XXI bis s’inspire des lianhuanhua, ces livres conçus pour se glisser dans la poche des ouvriers chinois et être lus dans des moments d’attente ou de loisir. Au niveau du contenu, le reportage est mis à l’honneur. « Quand on a fait une étude de lectorat au sujet de la revue, beaucoup de gens nous on dit qu’on restait sur des constats plombants et pessimistes sur la marche du monde » déclare Elsa Fayner, rédactrice en cheffe de la rue et directrice de la collection Bis. « On nous a demandé, « ne nous laissez pas impuissants ». Forts de ces constats, nous avons voulu raconter des histoires impressionnistes et sensibles, à l’accès plus démocratique ».
C'est également du côté du sensible que Les Arènes et L'Iconoclaste placent le curseur. Avec la collection Proches, les deux maisons s'unissent pour proposer des rééditions en poche de leurs grands succès. Elles se rapprochent donc entre elles mais également du public, avec cette initiative qui promet de « parler des livres comme on échange ses coups de coeur avec un inconnu dans la rue ». Dans la foulée de ce lancement en petit format, un espace de vente physique dédié uniquement au poche devrait même être inauguré prochainement.
Un pari qui pourrait s'avérer gagnant. Aux Etats-Unis, une popularité renouvelée du livre de poche s’est fait sentir ces derniers mois, en lien à une situation économique instable où le budget alloué à la culture s’amincit dans les ménages. Un contexte d’augmentation du coût de la vie, qui pourrait bien, en France également, booster encore un peu plus le format poche et l'accompagner vers de nouveaux chapitres.
