Quelle est l'institution qui, en cent ans, a traduit la Bible en français, refondé la grammaire et proposé un nouveau système d'éducation ? Qui a lié Pascal, Racine et la reine de Pologne ? Qui a fini, avec son principe de retrait du monde, par faire assez d'ombre à Louis XIV pour que celui-ci engage contre elle un duel à mort ? L'abbaye de Port-Royal. En 1609, la Mère Angélique décide de rétablir la règle bénédictine dans ce couvent de la vallée de Chevreuse. C'est le début d'une aventure religieuse et intellectuelle hors du commun. De jeunes hommes s'exilent dans le vieux couvent, décidés à y mener une vie de labeur : les Solitaires. Ils s'emploieront à défendre la théologie janséniste, aidés par un certain Pascal et ses Provinciales. Racine fréquentera les petites écoles. "Port-Royal renouvelle en actes la légende du christianisme primitif", écrit Laurence Plazenet. C'est aussi pour cela qu'il "irradie la société de son temps". Car Versailles trouve dans cette abbaye un miroir peu flatteur, mais ô combien édifiant. Comme d'autres, la galante et frondeuse duchesse de Longueville y fait une retraite qui prépare sa conversion. "L'amour-propre, note-t-elle dans son journal, fait qu'on aime mieux parler de soi-même en mal que de n'en rien dire du tout." Les Maximes ne sont pas loin...
Louis XIV, inquiet d'une abbaye qui ose résister aux ordres du pape, la fera fermer en 1708 ; il fait raser les bâtiments et exhumer les corps du cimetière. "Les chiens n'épargnaient point ces corps et étaient peut-être en cela un symbole de bêtes bien autrement carnassières. [...] Les fossoyeurs hachent [les corps] à coups de bêche." Voici où finit l'histoire de Port-Royal, et où commence sa légende.
L'immense anthologie de Laurence Plazenet redonne un accès aux sources primaires de cette histoire. Des débuts au "martyre », on y entend la voix de personnages illustres ou anonymes, et l'ensemble forme une galerie de paysages, de scènes et de portraits où Port-Royal se réincarne. C'est à proprement parler un ouvrage de référence, où érudits et curieux trouveront de quoi imaginer cet autre Grand Siècle.
