"Le spectacle est l’origine du monde. Le tragique se tient là, immobile, dans une inactualité bizarre." Ainsi s’ouvre Tristesse de la terre : une histoire de Buffalo Bill Cody. Le nouveau livre d’Eric Vuillard nous ramène à l’Exposition universelle de 1893 à Chicago. Aux représentations du Wild West Show - deux fois par jour, avec dix-huit mille sièges à remplir -, une "véritable mise en scène de l’Histoire".
Dix ans plus tôt, un ancien ranger et employé des chemins de fer ayant atterri un peu par hasard à Broadway mettait au point un spectacle qui n’inaugurait rien de moins que le divertissement de masse. William Cody, dit Buffalo Bill, avait compris qu’il fallait stupéfier et faire frémir, avec la vie des pionniers, le récit tourmenté de leur migration. Avec des vachers, des tireurs d’élite. Mais surtout avec "des Indiens, de véritables Indiens". Flanqué de son impresario, le major John Burke, un "margoulin de la pire espèce", il s’en était allé frapper à la porte du vieux chef Sitting Bull. Le vainqueur de Little Big Horn avait négocié âprement son contrat. Avant d’effectuer stoïquement des tours de piste sous les injures.
Le Wild West Show allait tourner partout. Se rendre à Paris, à Londres, Rome ou Nancy. Puis Sitting Bull, rentré dans la réserve de Great River, allait voir débarquer des policiers à cheval et mourir sous leurs balles. Un an après, c’est un régiment de cavalerie qui massacrerait femmes et enfants à Wounded Knee où l’on jetterait les cadavres dans la fosse commune…
Eric Vuillard peaufine ici son art tendu et ironique de la narration, son écriture qui mêle les registres. Un cocktail qui faisait déjà mouche dans La bataille de l’Occident (Actes Sud, 2012, repris en Babel) et dans Congo (Actes Sud, 2012, repris en Babel le 20 août). L’écrivain parle de conquêtes et de défaites. Il montre que "rien n’arrête la mise en scène" et s’intéresse à l’autre versant de la fable, tout en brossant le portrait d’un Buffalo Bill maître en carton-pâte, saltimbanque cabotin jusqu’au bout. Le résultat est détonant.
Al. F.