21 août > Roman France

L’exotisme, à l’heure des compagnies low cost, a beau être à bas prix, la plume n’est pas à la portée de tout le monde. L’écrivain-voyageur Patrick Deville le prouve qui, livre après livre, nous transporte aux quatre coins du globe avec une manière n’appartenant qu’à lui. L’auteur, né en 1957, écrit des romans d’aventures sans intrigue, si ce n’est celle que tissent les hasards de l’histoire et les rêves fous d’aventuriers en armes ou de trekkeurs de l’esprit.

Pura vida : vie & mort de William Walker (Seuil, 2004) relatait les tribulations du flibustier américain et éphémère président du Honduras fusillé en 1860. Dans Equatoria (Seuil, 2009), nous étions partis sur les traces de l’explorateur Savorgnan de Brazza le long du fleuve Congo ; dans Kampuchéa (Seuil, 2011), c’étaient celles d’Henri Mouhot, découvreur des temples d’Angkor, que l’on suivait… Parcourant trois continents et un siècle et demi de soubresauts historiques - du début de l’ère coloniale aux procès des Khmers rouges -, cette trilogie sera désormais réunie en un seul volume (1) sous le titre Sic transit.

A la rentrée, l’événement Deville, c’est surtout son nouveau roman, Viva. Retour en Amérique latine. Trotsky et Lowry au Mexique, cela faisait dix ans que le sujet mûrissait. Au rythme d’un ou deux séjours par an à Mexico, le romancier n’a cessé d’enquêter (il a interviewé le petit-fils de Trotsky) et a beaucoup lu. En fiction comme en stratégie militaire, il faut savoir attendre pour mieux attraper le jeune Kairos par la houppette, ce dieu grec du moment opportun. "Pendant la rédaction de Pura vida, se souvient Deville, je m’interdisais de parler du Mexique."

Viva est le récit des vies parallèles du théoricien de la révolution universelle, fondateur de l’Armée rouge traqué par Staline, et de l’auteur d’Au-dessous du volcan, le bourgeois déchu et poète noyé dans l’alcool. En 1937, après avoir bourlingué chacun de son côté, l’écrivain russe (l’auteur de Ma vie était un vrai littéraire) et l’écrivain anglais sont à Mexico, "voilà Lowry y Trotsky en la misma ciudad", "dans la même ville". Pourtant Malcolm Lowry ne rencontrera pas "le vainqueur de Kazan", il le fera juste apparaître dans son roman culte. Dans celui de Deville, les existences de ces deux-là s’entremêlent en terre mexicaine, où les dieux ont soif de sang, d’amour et de mezcal. Artaud, Graham Greene, Breton… Qui n’est pas passé par le Mexique ? Le pays est un véritable "moulin" des arts et de la révolution. Y tournoie, entre déchirements passionnels et assassinats politiques, une constellation de destins fulgurants ou fugaces : Frida Kahlo qui accueillit Trotsky dans sa maison bleue et dont elle fut le dernier amour, Diego Riviera et les autres peintres muralistes tel Siqueiros, l’obscur B. Traven, Arthur Cravan, boxeur et poète, neveu d’Oscar Wilde…

Viva est un hymne à la quête de l’absolu - l’absolu de la Littérature, l’absolu de la Révolution - chantée par deux damnés foulant une même poussière.

Chez Lowry comme Trotsky : "C’est ce vide qu’on sent et que l’homme, en son insupportable finitude, n’est pas ce qu’il devrait être, l’insatisfaction, le refus de la condition qui nous échoit […]. Ce qu’ils nous crient que nous feignons de ne pas entendre : c’est qu’à l’impossible chacun de nous est tenu." Sean J. Rose

(1) Sic transit , Seuil, "Fiction & Cie". ; 22 euros ; 704 p. ISBN : 978-2-02-116267-7. Sortie le 4 septembre.

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