Cette grande aventure commence par un livre. En 1996, un ingénieur qui travaille sur un système de liaison à courte portée est plongé dans un grand classique de la littérature suédoise, Orm le Rouge (Actes Sud, 2008) de Frans Gunnar Bengtsson où il est question d'un fascinant roi danois à la dent bleue. Il propose aux trois entreprises, américaine (Intel), suédoise (Ericsson) et finlandaise (Nokia), de nommer cette technologie Bluetooth. Lors de la commercialisation des premiers appareils trois ans plus tard, non seulement le nom de code est conservé, mais les initiales en runes du souverain servent de logo à ce système désormais connu du monde entier. Lucie Malbos (université de Poitiers) a voulu en savoir plus sur ce personnage perdu dans les brumes nordiques de la seconde moitié du X^e siècle. Cette jeune historienne signe ainsi la première biographie de ce roi très connecté. Car, à la lecture de sa vie tumultueuse, on comprend à quel point l'ingénieur a eu le nez creux.

Ce Viking, fils de Gorm et de Thyra, a contribué à l'unification du royaume danois en le convertissant au christianisme. En remplaçant le marteau de Thor par la croix, il délaisse le paganisme sans y voir pour autant un renoncement à la tradition, la transition se faisant sans affrontement si l'on en croit cette jeune médiéviste normalienne qui a soutenu en 2015 une thèse sur les ports des mers nordiques à l'époque viking (parue chez Brepols en 2017). Souverain ambitieux, Harald mène de nombreux chantiers de forteresses circulaires et de ponts. Il bat monnaie et organise son pouvoir à partir du complexe royal de Jelling. En mordant sur la Norvège d'Éric à la hache sanglante et sur la Suède, il resserre les liens avec l'empire d'Otton I^er. D'une certaine manière, il sert de lien dans une Europe qui n'existe pas encore. Bref, il favorise les communications. Il devient un acteur essentiel de la construction de son pays et de son ouverture.

Mystères

Inutile de préciser le tour de force pour puiser les minces informations dans les sagas, les traces archéologiques et les pierres runiques afin d'en tirer des éléments de compréhension d'une personnalité forcément lointaine. Les chroniqueurs Adam de Brême et Saxo Grammaticus ont raconté ce Harald « seigneur de la guerre » et ils permettent de mettre en évidence ce destin shakespearien. « Faire la biographie de Harald, c'est aussi raconter l'histoire d'un fils qui fit oublier son père et faillit à son tour être effacé par son propre fils, d'un des principaux fondateurs de la nation danoise dans le cadre de l'élaboration d'un récit national. »

Avec ce livre, Lucie Malbos a réussi une biographie très originale sur un personnage qui ne l'est pas moins. Elle reconstruit le parcours morcelé, presque en dents de scie, de cette figure quasi mythique de « Bluetooth ». Quant à savoir d'où vient vraiment ce surnom d'Harald à la dent bleue, est-ce parce qu'il mangeait des airelles, parce qu'il avait une carie ou parce qu'il voulait simplement faire peur, le mystère demeure entier.