Emmanuel, dit Manu, tape dans le ballon et boit des coups, quand il ne prend pas la mer. Manu se rêve en footballeur professionnel et travaille sur un chalutier. Il n'a pas spécialement le pied marin, il débute, il ne vient d'ailleurs pas du Nord, c'est dur, mais c'est son travail. Paradoxalement, c'est sur le plancher des vaches qu'il part à vau-l'eau.

Ce premier roman fleure assurément le vécu. Son auteur : Quentin Desauw, jeune homme de 30 ans natif de Tourcoing et habitant à Toulouse, qui, selon la notice biographique au dos du livre, « a exercé divers petits boulots alimentaires (saisonnier, animateur dans l'éducation populaire, ouvrier sur des chaînes de montage...) ». Pour l'ambiance, donc, on imagine que le primo-romancier a puisé dans l'univers de personnes qu'il a pu croiser au cours de ses expériences variées. Le héros de Marée haute a été élevé dans une famille d'accueil, ballotté par les cahots des existences en lambeaux de parents séparés - la mère « toujours à [lui] prendre la tête », qui s'est remise une énième fois avec quelqu'un, le père « malade », que le voisin un jour « a découvert dans la cuisine, sur une chaise, la tête éclatée, comme les pétales d'un coquelicot ». Manu vivote à Dunkerque - sans véritables amis, une copine Tiphaine, avec qui il sort sans conviction. A travers les volutes du joint, lorsqu'il est « dans le paradis de la fumette », lui reviennent les images de Julien, le « frangin disparu ». Quentin Desauw dépeint le brouillard existentiel de son protagoniste sans en faire trop, son naturalisme affleure les éléments d'une réalité pourtant plombée, un détail suffit pour laisser entrevoir l'abîme : « J'ai coincé entre mes lèvres la dernière cigarette de mon paquet et j'ai regardé ma petite bouteille de Smirnoff déjà presque vide. Il n'y avait pas de message à l'intérieur, pas de coordonnées pour une île non plus, un point sur l'océan. Rien... »

Et puis Manu rencontre Caroline, une amie de Tiphaine à la peau mate, Caroline l'aime, elle est patiente. Maintenant elle veut qu'il s'ouvre, qu'il ne s'arc-boute plus sur le passé. Mais Manu est surtout englué dans le présent, ce business avec« les cousins », les trafiquants de migrants, ceux qu'il est chargé de faire traverser clandestinement la Manche. Au sens du décor Quentin Desauw ajoute celui du scénario, un côté cinéma que cet auteur a étudié un temps.Marée hautenous porte loin avec son vague-à-l'âme.