À la suite d'une profonde crise économique, le destin du pays a été confié à un cabinet de conseil qui a écarté toute réforme structurelle pour privilégier une sorte de méthode Coué qui stimulerait l'optimisme des habitants. La première mesure a consisté à rebaptiser le pays, devenu Quality Land ; puis on a décidé d'attribuer aux citoyens, comme nouveau nom de famille, le substantif désignant le métier du père ou de la mère. Comme Brad Trafiquant ou Natascha Tenante-de-bar. Depuis lors, on vit dans un état de bonheur forcé, encadré de façon totalitaire par des technologies sophistiquées. Tout n'est désormais que fun normalisé et généralisé.

Dans ce nouveau monde, on trouve la Bible au rayon fantasy des librairies, et Les joies du jeune Werther (sic) au rayon humour... Tout citoyen qui verrait, faute d'enthousiasme, sa note globale baisser serait rapidement marginalisé. C'est le cas de l'antihéros de cette histoire, un loser parfait du nom de Peter Chômeur. Il aurait voulu être thérapeute pour machines, mais il a raté sa formation et il est devenu ferrailleur : il stocke, détruit ou répare des robots défaillants, comme Mickey, le robot de combat souffrant d'un stress post-traumatique, ou Roméo, le sex-droïde qui a des problèmes d'érection... Le jour où Peter refuse, malgré l'injonction d'un éditeur, de compresser l'e-crivaine Calliope 7.3., suite à l'échec de son roman Georges Orwell Goes Shopping, il est pris dans un enchaînement de péripéties rocambolesques et hilarantes.

Peter s'engage par ailleurs dans un véritable combat administratif : il s'est mis en tête de se faire rembourser par une plateforme commerciale un article non commandé ni désiré, un vibromasseur en forme de dauphin rose... Les tribulations de Peter au cœur de cette société qui a poussé jusqu'à l'absurde à la fois les logiques de consommation, les développements technologiques et la dématérialisation, vont le conduire à croiser la route de personnages troubles, comme Kiki, une femme qui vit de la pornodivulgation, ou encore un vieil homme qui évoque la création imminente d'une super-intelligence artificielle, sorte de nouveau Dieu qui pourrait prendre en grippe l'humanité tout entière. Convaincu que « le hasard n'existe plus », Peter va peu à peu ouvrir les yeux alors que, pour la première fois, un androïde, John Of Us, est candidat aux élections.

On se délecte de cet univers de robots à l'ancienne, qui évoque autant Philip K. Dick qu'Asimov ou Walter Tevis, et l'on savoure chaque gag, comme l'histoire de ce performeur qui fait un malaise sur scène après avoir entrepris de lire intégralement à voix haute le contrat de licence du Quality Pad - l'ordinateur qui gère le quotidien des citoyens - sans manger, boire, ni dormir pendant plusieurs jours... C'est un peu comme si Orwell avait été revisité par Mel Brooks mais, derrière son apparence de comédie barrée, Quality Land, qui fut un immense succès en Allemagne, porte un propos particulièrement élaboré et clairvoyant sur l'hyper-technologisation du monde et la dématérialisation des relations sociales.