La reprise attendra. Après une année 2017 fortement perturbée au premier semestre par des campagnes électorales présidentielle et législatives aux rebondissements spectaculaires (- 1,1 % en valeur sur l'ensemble de l'année), les ventes de livres au détail chutent encore en 2018, et même plus que l'année précédente. Elles s'inscrivent à - 1,7 % en euros courants d'après nos données Livres Hebdo/I+C. En dix ans, si l'on excepte 2015 où il a progressé de 1,8 %, et 2016 où il est resté stable, le marché du livre n'a cessé de décélérer.
2018 avait pourtant bien commencé. Après un mois de décembre 2017 plutôt positif (+ 1 %), l'activité a fait un bond de 4,5 % en janvier (+ 2,5 % sur l'ensemble de l'hiver). Elle a encore bien résisté au cours du premier semestre, même si elle a alors évolué en dents de scie : - 4 % en février, + 6,5 % en mars, - 6 % en avril, + 1,5 % en mai, + 2,5 % en juin. Mais le deuxième semestre, lui, s'est d'emblée révélé calamiteux : - 6,5 % en juillet, - 2,5 % en août, - 6 % en septembre, - 3 % en octobre, - 3,5 % en novembre, - 1,5 % en décembre, avec un bilan particulièrement négatif pour la rentrée littéraire, et plus largement pour la littérature. Symptomatiquement, le Top 50 des meilleures ventes de l'année a fait la part belle aux formats poche - 32, un record ! -, témoignant a contrario des difficultés des nouveautés à jouer leur rôle de locomotive de l'activité (1).
Jeunesse et BD toujours en forme
Si les hypermarchés continuent, comme c'est le cas depuis une bonne douzaine d'années, à tirer le marché du livre vers le bas (- 7 %), aucun circuit n'échappe à cette nouvelle contraction des ventes. La baisse s'affiche à - 1,4 % dans les librairies de premier niveau, dont la performance est ainsi un peu meilleure que la moyenne du marché, et à - 2,1 % dans les librairies de 2e niveau. Même les grandes surfaces culturelles enregistrent un tassement de leur activité (- 0,2 %) en dépit de l'apport de leurs ventes en ligne, réputées mieux orientées que les ventes dans le commerce « en dur ». Au global, à fin décembre, la tendance annuelle du marché du livre, nettement dégradée par rapport à la même période de l'an dernier, demeure inférieure de 1,5 point à celle de l'ensemble du commerce, tous produits confondus, pourtant elle-même en recul.
A + 1 % chacun, le livre pour la jeunesse et la bande dessinée (cette dernière malgré l'absence d'Astérix, qui avait dopé ses performances en 2017) sont les seuls secteurs à afficher une croissance pour l'année 2018. Ils demeurent ainsi clairement les deux plus porteurs sur la longue durée. Le poche (-1%), les essais et documents, tout comme les ouvrages pratiques (- 1,5 %) enregistrent un recul d'une ampleur analogue à celui du marché du livre dans son ensemble. Tous les autres secteurs réalisent des performances inférieures, de - 2 % pour le parascolaire, - 2,5 % pour la littérature de fiction, - 3 % pour les sciences humaines, l'économie et la gestion, les beaux livres et les livres d'art, et - 3,5 % pour le droit, à - 4 % pour les ouvrages scientifiques, techniques et médicaux comme pour les ouvrages scolaires, qui subissent le contrecoup d'une belle année 2017 portée, comme 2016, par l'impact favorable de la réforme des programmes de collège, et - 5 % pour les dictionnaires, en attrition durable du fait de la concurrence des services en ligne.
La contraction du marché s'explique avant tout, d'après les observations des libraires, par un recul de la fréquentation des points de vente de livres à partir du 2e trimestre et jusqu'à la fin de l'année, clairement perturbée par les manifestations des « gilets jaunes », rituellement programmées les samedis. Toujours d'après nos données Livres Hebdo/I+C, le panier moyen d'achat des clients, lui, gagne 50 centimes, à 18,50 euros tous circuits de vente du livre confondus. Pour s'adapter, les libraires ont, à un an d'intervalle, légèrement augmenté leurs retours, de 24 % à 24,5 % en moyenne, tous circuits de vente confondus, et réduit leurs stocks de 78 à 75 jours de vente en moyenne. Corrélativement, la trésorerie des détaillants, encore solide au premier trimestre, s'est dégradée ensuite tout au long de l'année.
Production stable
Si elle n'a pas augmenté en 2018, la production en titres ne s'est pas non plus ajustée au resserrement répété des ventes de livres, puisqu'elle est restée stable pour la quatrième année consécutive, à 68 121 nouveautés et nouvelles éditions d'après nos données provisoires Livres Hebdo/Electre data services. Les évolutions sont cependant contrastées d'un secteur à l'autre. On assiste à des hausses de production significatives en psychologie et développement personnel, santé, puériculture, bande dessinée (sauf mangas), fiction pour la jeunesse, romans français, fantasy et SF, enseignement du français ou encore histoire de France.
A l'inverse, le nombre de nouveautés et de nouvelles éditions recule sensiblement en informatique, religions (sauf le bouddhisme et l'hindouisme), droit, cuisine et gastronomie, théâtre, humour, géographie, de même qu'en politique après une année 2017 où les élections présidentielle et législatives avaient soutenu la production éditoriale. Cependant, plusieurs secteurs très productifs affichent une stabilité en titres en 2018, à l'instar de la gestion, de l'éveil pour la jeunesse, du documentaire jeunesse, de la poésie, de la littérature étrangère ou du tourisme.
(1) Voir notre bilan des meilleures ventes de l'année dans LH 1201, du 18.1.2019, p. 20-38.
Les bonnes performances du format poche
Au dessus de la moyenne du marché, le poche (75,3 millions d'exemplaires vendus en 2018 d'après GFK) a tiré les ventes de livres avec, hors poches jeunesse et scolaire, un chiffre d'affaires que GFK évalue même en légère progression de 0,8 %, à 551,7 millions d'euros. Dans les meilleures ventes de l'année, 32 titres au format poche figurent dans le top 50, contre 24 en 2017 et 18 en 2014 (1), ce qui monte le poids de ce secteur en librairie. Déjà, en 2017, quand le marché du livre s'inscrivait à - 1,1 % en euros courants, selon I+C, le poche restait au dessus, à 0 % (2).
Côté éditeurs, en 2018, Le Livre du poche a coiffé Pocket sur le poteau en s'adjugeant, d'après GFK, 20,2 % du marché du poche. La filiale d'Hachette Livre se consolide grâce à ses « bienveillantes », les auteures françaises à succès Aurélie Valognes et Virginie Grimaldi ou des romanciers comme Laurent Gounelle. Cette belle dynamique se prolongera en 2019, où la maison accueille dans son catalogue Guillaume Musso avec La jeune fille et la nuit, paru chez Calmann-Lévy, ainsi que les derniers romans d'Agnès Ledig et du duo Eric Giacometti et Jacques Ravenne.
Détenu à 40 % par Albin Michel, Le Livre de poche, est talonné par Pocket, qui conserve 19,2 % de parts de marché. Très présente en tête du classement des meilleures ventes, la marque d'Univers Poche a compté en 2018 sur Guillaume Musso (Un appartement à Paris) ou Raphaëlle Giordano, dont le premier roman, Ta vie commence quand tu comprends..., n'a pas quitté les palmarès poche depuis juin 2017. Les best-sellers anglo-saxons d'Harlan Coben ou de Paula Hawkins font aussi partie de ses locomotives.
Avec 12,6 % de parts de marché, Folio bénéficie toujours de la trilogie d'Elena Ferrante, dont le premier volet se maintient dans le classement des meilleures ventes GFK/Livres Hebdo depuis 123 semaines ! La marque de Gallimard peut également se féliciter de la performance de Chanson douce de Leïla Slimani (258 911 exemplaires vendus), paru à une période propice, avant les vacances d'été : 11 % des ventes ont été réalisées courant juillet, indique GFK.
(1) Voir notre bilan des meilleures ventes de livres en 2018 dans LH 1201, du 18.1.2019, p. 20-38.
(2) LH 1159, du 2.2.2018.
Une année dopée par la non-fiction
Portés par la non-fiction, en particulier par les Mémoires de Michelle Obama, les marchés du livre dans le monde se stabilisent voire progressent en 2018. Tour d'horizon de l'année avec l'aide des magazines et des sites professionnels du réseau PubMagNet.
Allemagne : + 0,1 %. Après une année 2017 volatile, le marché se stabilise en 2018 (+ 0,1 %). La baisse des ventes en volume (- 1,4 %) est compensée par la hausse des prix (+ 1,4 %). Les ventes en ligne progressent (+ 2 % à + 3 %). Les livres sur la politique américaine, dont les Mémoires de Michelle Obama se sont bien vendus. Les livres jeunesse sont stables tandis que les guides de voyage s'effondrent. En librairie, les chaînes gagnent des parts de marché sur les indépendants tandis que la fusion entre le leader Thalia et Mayersche a créé un séisme. D'après Buchreport
Australie : + 1,4 %. Nielsen BookScan annonce 61,1 millions de volumes vendus en 2018 (+1,3 %) pour un montant de 1,18 milliard de dollars australiens (+1,4 %). Les ventes numériques représentent de 15 à 20 % du marché. Les titres de développement personnel ont augmenté de 80 % en 2017 (40 millions de dollars) avec 1 million de ventes pour The barefoot investor, du financier Scott Pape. D'après Booksand
Chine : + 11,3 %. Selon Openbook, le marché chinois a augmenté de 11,3 %, atteignant 89,4 milliards de yuans, pour 203 000 nouveautés. Les livres pour la jeunesse figurent en tête des ventes, suivis de l'éducatif, la littérature, les sciences sociales, l'économie. Le livre audio est en pleine expansion : 22,8 % des Chinois écoutent des livres audio. D'après Bookdao
Espagne : + 2 %. Le livre espagnol sort de la crise avec une hausse des ventes de 2 % en 2018 (chiffres provisoires), qui a davantage bénéficié aux chaînes El Corte Inglès, la Fnac et la Casa del libro (+ 4 %) qu'à la librairie indépendante (+ 1 %). Les ventes numériques atteignent 10 %. Le marché du livre audio a triplé et est évalué entre 2 et 3 millions d'euros. Il a conquis un lectorat jeune (35 % ont moins de 30 ans) et de non-lecteurs d'imprimés (50 %) et sera porté en 2019 par l'arrivée d'Audible au 2e trimestre. D'après Dosdoce.com
Etats-Unis : + 1,3 %. Selon Nielsen BookScan, les ventes augmentent de 1,3 % en 2018, avec 695 millions d'exemplaires vendus (contre 686,98 millions en 2017). La non-fiction adulte et jeunesse est en hausse. Becoming de Michelle Obama atteint 3,4 millions de ventes et cinq titres dépassent le million, contre aucun l'an dernier. Le young adult progresse de 8,5 %, et la jeunesse de 3 %. Le roman est en baisse (- 4,6 %) comme le livre audio qui connaît une chute (- 28,9 % des livres-CD) au profit des téléchargements. D'après Publishers Weekly
Royaume-Uni : + 2,1 %. Le marché progresse, selon Nielsen BookScan, de 2,1 % en valeur (1,63 milliard de livres sterling) et de 0,3 % en volume (190,8 millions d'exemplaires). Il est porté par la non-fiction (+ 4,3 %) notamment les Mémoires de Michelle Obama, tandis que la fiction augmente légèrement (+ 1,1 %) et la jeunesse reste stable (+ 0,1 %). Ebooks (+5 à 10 %) et livres audio enregistrent de belles hausses tout comme les éditeurs Bonnier, qui a publié The tattooist of Auschwitz (+ 51 %), HarperCollins (+ 8 %), Pan MacMillan (+ 9,5 %) et Hachette (+ 3 %). D'après The Bookseller
Italie : - 0,4 %. Selon le site Arianna.org, qui porte sur un échantillon de 1 800 librairies, le marché du livre baisse en valeur de 0,4 % en 2018, et de 1,5 % en exemplaires vendus. Les romans avec Elena Ferrante, Andrea Camilleri et Francesco Totti, la jeunesse et les sciences humaines sont les secteurs qui se portent le mieux. Les ebooks représentent moins de 5 % du marché et les ventes de livres audio ne décollent pas malgré l'offre d'Audible et de Storytel. En janvier 2018, Feltrinelli et Messaggerie Italiane ont créé un site marchand Stereo Online Srl, en réponse à Amazon. Mais le gros distributeur Mach 2 a fermé en juillet laissant le monopole à MF Ingrosso-Opportunity. D'après Ie-online.it